L’épidémie va ébranler l’anthropologie théologique chrétienne autour de la solidarité des êtres vivants et, sous-jacente, de la question animale. En franchissant la barrière d’espèces, depuis la chauve-souris jusqu’à l’homme en passant par le pangolin, le Coronavirus a suscité une prise de conscience : les hommes ont réalisé à quel point leur santé était dépendante de la santé animale, ils ont expérimenté dans la douleur que le vivant, tout le vivant, est indivis, ils ont éprouvé qu’Homo sapiens est une espèce parmi les autres, exposée comme les autres aux mêmes lois dites de la nature, depuis quelque 3 800 millions d’années qu’elles régissent l’évolution biologique.

Certes, ce n’est pas la première fois qu’un agent infectieux effectue un saut d’espèces entre l’animal et l’homme : avant le SARS-CoV-2, les hommes ont subi les méfaits du SARS 1, du MERS-CoV, du MERS-like et, dans la nuit des temps, les ravages de la peste, de la tuberculose, de la brucellose et de la rage – autant de zoonoses, c’est-à-dire de pathologies transmises à l’homme par l’animal. Mais cette fois le coup est rude : pour tenter de l’atténuer, plus de la moitié de l’humanité sur les cinq continents a dû être soumise au confinement et vivre cloîtrée pendant plusieurs semaines. Au passage, ce nouveau franchissement des barrières d’espèces a entraîné le franchissement des barrières des sciences : vétérinaires, médecins, biologistes, écologues, et autres épidémiologistes se sont mis à travailler ensemble, en partageant l’approche dite One-health (santé unique de la nature, de l’animal et de l’homme).

L’expérimentation de la solidarité de vie qui lie toutes les espèces sur terre, en mer et dans les airs a fait vaciller le piédestal au sommet duquel l’espèce humaine croyait dominer tout le vivant, invulnérable et arrogante maîtresse de la création. La pandémie a révélé la vanité de cette toute-puissance.

Troisième révolution, troisième blessure narcissique

C’est la troisième révolution affrontée par l’anthropologie théologique chrétienne, sa troisième « blessure narcissique », selon l’expression de Boris Cyrulnik. En 1492, la découverte du Nouveau Monde par les Espagnols avait provoqué la première […]