Ce que Dieu est en lui-même, nous l’ignorons ; nous sommes incapables d’en parler justement et complètement. Par contre, nous pouvons dire ce qu’il représente pour nous, comment il nous touche ou nous affecte. Pour ma part, quand on m’interroge, je mets l’accent sur quatre points, en soulignant que mes propos, fondés sur une expérience partielle et défectueuse de Dieu, ne prétendent pas le définir.

« Notre père qui es aux cieux »

Cette formule peut faire difficulté pour ceux qui ont des pères indignes, absents ou brutaux ; elle comporte quelque injustice envers les mères (la Bible parle d’ailleurs parfois de Dieu au féminin et sur le registre de la maternité) ; elle égare ceux qui prennent « les cieux » à la lettre. Malgré ces inconvénients (mais existe-t-il une manière parfaite de désigner Dieu ?), je l’aime bien car elle correspond à ce que j’éprouve. « Père » exprime la proximité de Dieu, sa présence dans ma vie ; je le rencontre chez moi, en moi, il m’est familier. « Aux cieux » suggère une distance et une différence ; il vient d’ailleurs tel un étranger, il me surprend toujours tel un inconnu. Dieu est à la fois autre et intime ; il fait partie de moi sans être mon semblable et sans se confondre avec moi.

Dieu d’Abraham et Dieu des philosophes

On oppose souvent le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (une personne vivante avec qui on a une relation de type « je-tu ») au « Dieu des philosophes et des savants » (un « élan vital » ou une réalité « océanique », quelque chose d’impersonnel et d’abstrait). Cette opposition ne me convainc pas. Dieu n’est pas seulement une personne. Il est aussi autre chose et bien davantage, non pas infra mais supra personnel. « Il y a une sorte de profanation, écrit Emerson (pasteur et philosophe américain, 1803-1882), à dire que Dieu est personnel. Il n’est plus alors qu’un grand homme, c’est trop peu ». De même, Charles Wagner affirme : « Dieu est infiniment plus qu’une personne. » Dans la rencontre de personne à personne avec Dieu, nous percevons un aspect ou une face de son être, mais pas l’ensemble ou la totalité. Aussi, loin d’exclure le Dieu des philosophes, le croyant en a besoin pour comprendre un peu mieux (ou un peu moins mal) Celui à qui dans la foi il s’adresse en lui disant «tu». […]