L’origine du premier fratricide de l’histoire repose sur ce qui nous semble une injustice : Caïn apporta du fruit de la terre en offrande au Seigneur. Abel, lui aussi, apporta des premiers-nés de son petit bétail avec leur graisse. Le Seigneur porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn ni sur son offrande (Gn 4.3-5). Comment comprendre cette différence de traitement ? Paul n’a-t-il pas dit qu’il n’y a pas de partialité en Dieu (Rm 2.11) ? Plusieurs réponses ont été apportées à cette énigme.

Une première explication s’intéresse à la nature des sacrifices. L’offrande de Caïn est végétale, alors que celle d’Abel est animale. René Girard a montré que le sacrifice est un moyen d’évacuer la violence qui est dans la personne. En tuant un animal, l’humain décharge dans ce meurtre rituel la tension et l’animalité qui sont en lui, et détourne la violence qui était initialement dirigée contre le prochain. Abel a pu se décharger de sa colère dans un sacrifice sanglant, alors que Caïn s’est laissé déborder par sa violence intérieure.

Une deuxième explication souligne la préférence de Dieu pour les petits et pour les bergers. Dans le livre de la Genèse, ce sont souvent les seconds qui sont porteurs de l’alliance : Isaac et non Ismaël, Jacob et non Ésaü, Juda et Joseph et non Ruben et Siméon. Et dans le Premier Testament, Dieu choisit souvent des bergers pour porter sa parole : Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et David étaient des bergers. De par leur mode de vie, les nomades doivent s’alléger. Plus souvent que les autres, ils écoutent ce que murmure le vent, ils contemplent ce que racontent les étoiles.

Une troisième explication repose sur la différence de disposition intérieure des frères. Le Premier Testament ne cesse de répéter qu’il ne sert à rien d’offrir un sacrifice s’il n’est pas l’expression d’un cœur sincère. Le texte dit que Caïn apporta du fruit de la terre en offrande. Le midrash dit qu’il a apporté de tout, un peu, sans discerner ce qu’il est bon d’offrir. Abel, à l’inverse, sacrifie les premiers-nés de son bétail, la meilleure part. C’est l’interprétation de l’épître aux Hébreux qui dit : C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn (Hé 11.4).