Si vous aviez du tatoueur l’image d’un gros balèze couvert d’encre – un « costaud des Batignolles » comme aurait dit ma grand-mère – c’est sans doute que vous n’avez jamais rencontré une tatoueuse. Emelyne Collowald, Emy Wald sur la scène Tatoo, est l’un d’elles. Lorsqu’on consulte son compte Instagram @emytattooart, on est fasciné par les réalisations de cette illustratrice dans l’âme, qui a son propre imaginaire graphique, avec des personnages emprunts de poésie.
Mais c’est dans un tout autre domaine qu’elle se plait à exercer, pour rendre le tatouage non seulement artistique mais utile, en tatouant les femmes qui ont subi un mastectomie, l’ablation d’un sein après le retrait d’une tumeur cancéreuse. A l’occasion de la parution d’un ouvrage collectif auquel elle a contribué, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Si le tatouage répond à une envie principalement ornementale, dont les motivations sont propres à chacun(e), dans le cas de l’après-cancer, il fait œuvre de résilience, en aidant les femmes à tourner la page.
« Je les accompagne afin qu’elle puisse fermer un chapitre, avant d’en ouvrir un nouveau », confie la tatoueuse. Les dessins d’Emy Wald empruntent dès lors davantage aux motifs floraux, qui permettent un travail tout en finesse et délicatesse, avant tout pour respecter le terrain. « Que ces femmes aient bénéficié d’une reconstruction ou non, la cicatrice est souvent irrégulière, elle présente des trous, des bosses… Il faut donc travailler finement pour habiller sans déformer. Fleurs et feuillages permettent cela. ». Mais surtout, la zone étant généralement sensible, des lignes fines provoquent moins de réaction inflammatoire. Car la douleur, comme pour tout tatouage, peut être davantage ressentie sur une peau déjà sensibilisée.
Quelles sont leurs motivations ?
Pour la plupart d’entre elles, les femmes ayant subi une mastectomie veulent pourvoir porter un autre regard sur elle-même. Leur corps a changé, mais elles veulent continuer à l’aimer dans cette différence, et reconquérir leur féminité. « C’est une démarche d’abord pour elles. Elles veulent quelque chose de joli, qui habille et qu’elles ont choisi. Elles n’évoquent que rarement le regard de leur conjoint », précise Emy Wald.
Aucun tatouage de cette sorte ne se fait sur un coup de tête
« J’ai un échange oral préalable avec chaque femme qui entre dans cette démarche. On prend le temps. J’ai besoin de comprendre ce qui les anime, d’accompagner leur histoire, et j’estime que j’ai une responsabilité. Je leur explique comment ça va se passer ».
L’avis du médecin est toujours requis
« La plupart du temps les médecins qui les ont suivies pensent que c’est une très bonne idée », qui participe à la reconstruction psychologique. Pour autant, inutile d’espérer camoufler les traces d’une opération dans les semaines qui suivent, car la cicatrisation doit être totale. Il faut donc attendre un an au minimum, parfois deux. Le temps, aussi, de maturer cette envie car ce geste, lui aussi, est quasiment irréversible.
Les encres répondent à des normes strictes, et ne présentent pas de contre-indications, si l’on a affaire à un professionnel qui a pignon sur rue, et qui est formé.
Emy, qui se qualifie de « conteuse sur peau » accompagne aussi des femmes qui ont traversé le deuil d’un enfant, notamment à la suite d’un cancer pédiatrique. Ses illustrations sont aussi touchantes que sensibles et laissent une trace de celui ou celle qui n’est plus là.
Si elle exerce dans son salon de Troyes, où les patientes viennent de toute la France, Emy Wald contribue également à l’association Sœurs d’encre basée à Bordeaux.
Ce collectif de tatoueuses propose non seulement des conseils mais aussi des tatouages bénévoles, pendant Octobre rose, à des femmes qui ne pourraient pas s’offrir cet ornement. L’association sensibilise aussi les tatoueuses aux bonnes pratiques avec les femmes qui ont été opérées. Elle a même réussi à faire prendre en charge par la CPAM de Gironde le remboursement de certains tatouages.
En pratique, il faut compter environ six heures pour un motif qui recouvre les cicatrices d’une mastectomie, pour un budget aux alentours de 700 €.
Pour aller plus loin :
- le compte Instagram d’Emy Wald @emytattooart
- le site de l’association Sœurs d’encre : www.soeursdencre.fr
- leur compte Instagram : @soeursdencre
- un ouvrage collectif superbement illustré, consacré aux portraits de dix femmes tatoueuses : Tatoueuses, ces femmes qui font bouger les lignes du tatoo en France, de Naomi Clément, éditions Leduc, 2022