Prix Un Certain Regard à Cannes en 2009 avec Canine, Prix du Jury en 2015 avec The Lobster puis Prix du scénario deux ans plus tard avec Mise à mort du cerf sacré, et multiple fois nommé aux Oscars (en particulier avec La Favorite) Yorgos Lanthimos est de retour sur la Croisette avec Kinds of Kindness, pour notre plus grand plaisir !

Kinds of Kindness est une fable en triptyque qui suit tour à tour : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie ; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et semble une personne différente ; et une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux.

Quelques mois à peine après la sortie de Pauvres Créatures, une fable décalée et touchante portée par la talentueuse Emma Stone (qui était aussi dans La Favorite), un film fou sur des fous, dans un monde fou, Yorgos Lanthimos récidive dans la folie avec son actrice fétiche et, avec elle, Jesse Plemons récemment vu dans Civil War, Willem Dafoe qui était son Dr. Frankenstein dans Pauvres Créatures, mais aussi Margaret Qualley, Hong Chau, Hunter Schafer ou encore Mamoudou Athie.

Certains veulent t’utiliser. D’autres veulent que tu les utilises. Certains veulent abuser de toi. D’autres veulent que tu abuses d’eux… Ces paroles sont extraites de la chanson Sweet Dreams du groupe Eurythmics qui accompagne le générique jusqu’à se taire brusquement pour que les premières images apparaissent. En fait, la messe est dite… tout est révélé là, dans ce texte, comme un abstract d’article qui vous résume l’essentiel de ce qui va être développé. Bon en même temps, avec Lanthimos, le développement prend généralement des tournures étonnantes, drôles, mais aussi souvent écœurantes. On ne se refait pas !

Trois histoires totalement différentes, avec un casting de base identique mais des rôles différents, mais trois histoires pourtant interconnectées pour tisser un fil qui pourra être lu ou non par le spectateur.

Trois histoires imbriquées

Tout commence avec La mort de RMF où Jesse Plemons incarne un « esclave » moderne sous la coupe de son patron tyrannique (Willem Dafoe), qui exerce un contrôle total sur tous les aspects de sa vie, y compris sur sa relation avec sa femme (Hong Chau). Mais lorsqu’on lui demande de faire quelque chose de vraiment impensable, il tente de se libérer de ses chaînes – et découvre alors qu’une autre femme (Emma Stone) se retrouve exactement dans la même situation et prend en quelque sorte sa suite. Le seul problème, c’est qu’une fois qu’il a goûté à la liberté, il n’est plus sûr d’en vouloir…

Avec RMF s’envole, Jesse Plemons réapparaît dans le rôle, cette fois-ci, d’un policier, mari tourmenté d’une femme (Emma Stone) qui s’est perdue en mer. Lorsqu’elle revient, il est convaincu que quelque chose ne va pas du tout : ses chaussures sont trop petites, elle qui détestait le chocolat en raffole aujourd’hui. Il devient obsédé par l’idée qu’elle est un imposteur et la met au défi de lui prouver son amour de manière de plus en plus brutale.

La troisième et dernière histoire, RMF mange un sandwich nous propulse dans une sorte de secte dans laquelle Jesse Plemons et Emma Stone sont embrigadés. Au service d’un couple de gourous (Willem Dafoe et Hong Chau), et à la recherche d’une jumelle qui aurait le pouvoir de ramener les gens à la vie. Mais le personnage d’Emma Stone semble rongé parallèlement par la culpabilité d’avoir abandonné sa fille (Merah Benoit) et son mari (Joe Alwyn) pour sa nouvelle vie.

Manipulation et libre arbitre

Derrière ces trois récits, comme l’évoque Sweet Dreams, c’est la question de la manipulation qui est principalement travaillée par Yorgos Lanthimmos. Mais en partant du constat que si pour la plupart d’entre nous, la lutte pour son propre libre arbitre semble une évidence, beaucoup finalement sont assez satisfaits, voire rassurés, qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. Comme un besoin insidieux d’avoir des dictateurs de consciences… quels qu’ils soient. Avec tout cela s’ajoutent de nombreux autres sujets à voir métaphoriquement… tous racontent à leur manière des histoires d’amour et de dépendance affective, et de gentillesse dans ce qu’elle peut avoir de plus tordu.

C’est aussi l’exercice du pouvoir mais aussi comment s’en échapper, la dynamique des relations humaines avec en arrière-plan les notions de foi et de confiance qui s’y exercent.

On y mange beaucoup aussi et parfois curieusement… le sexe a aussi une certaine importance. Bref, pour le réalisateur, « une des choses les plus excitantes à propos de ces histoires c’est que le public puisse faire le lien avec ce qu’il peut lui-même ressentir. »

Si bien sûr, comme toujours avec Yorgos Lanthimmos, la limite est souvent dépassée (et largement) et donc ne plaira pas à tout public, les performances extrêmement engagées et décalées de la part de l’ensemble des acteurs sont remarquables. Et puis on s’amuse aussi et, il est clair que Lanthimos s’amuse tout autant. Alors après tout ça, à vous de voir (ou ne pas voir…) !