Nous poursuivons notre cycle autour des œuvres pour orgue d’Olivier Messiaen. En ce temps de Noël, je vous invite à découvrir ses neuf méditations autour de La Nativité du Seigneur, composées en 1935.
1. La Vierge et l’Enfant
Conçu par une Vierge un Enfant nous a été donné. Sois transporté d’allégresse, fille de Sion ! Voici que ton roi vient à toi, juste et humble. »
Quatre petites notes descendent avec surprise et néanmoins douceur d’en haut, comme l’annonce d’un enfant à Marie. Les jeux doux et aigus de l’orgue plongent également l’auditeur dans une atmosphère assez mystérieuse. Puis vient un passage aux rythmes dansants, invitant à l’allégresse, à l’expression d’une joie profonde, sincère et spontanée mais absolument pas démonstrative. Puis on retourne à un passage tendre, sérieux aussi. Comme si cette révélation est à la fois une promesse de tendresse mais également d’une responsabilité importante, qui demandera humilité et reconnaissance.
« Elle mit au monde un fils, son premier-né. Elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche. » Luc 2.7
« Ecoute donc les hommes que tu as placés en sentinelle : tous ensemble ils crient de joie, car ils voient de leurs propres yeux le Seigneur revenir à Sion. » Esaïe 52.8
« Eclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde ; ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. » Zacharie 9.9
Nous aussi, en cette période de Noël où l’ensemble des chrétiens célèbre la naissance de Jésus sauveur, nous sommes invités à vivre un moment d’allégresse, non pas dans une démonstration voire l’exagération, pire dans les abus des célébrations collectives. Bien au contraire, nous sommes invités à vivre un temps de fête comme une mère exprime avec tendresse son bonheur d’envelopper son enfant dans des langes et de le coucher. Notre joie doit être sincère, rester spontanée tout en restant conscients que cette venue est aussi une responsabilité : celle, non pas d’être Jésus, d’être à ses côtés et de le suivre au service de son Père et des autres, avec humilité et recherche de ce qui est juste.
2. Les Bergers
Ayant vu l’Enfant couché dans la crèche, les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu.
Sous un ciel étoilé de petites notes, les bergers semblent être tout étonnés de cette apparition d’un ange leur annonçant la naissance du Sauveur et les invitant à visiter le petit Enfant. On sent leur émerveillement et leur attendrissement. Ils échangent quelques mots : ils doivent partir pour voir ce que l’ange leur a annoncé. Ils partent donc, avec un cœur déjà rempli de joie et de reconnaissance de pouvoir témoigner de cette rencontre, sans doute improbable mais aussi douce qu’une caresse dans la laine de leurs moutons.
« Il y avait des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leur troupeau. Un ange du Seigneur leur apparut : « Je vous apporte une bonne nouvelle : cette nuit est né un Sauveur ; c’est le Christ, le Seigneur. Vous trouverez un petit enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. » […] Quand ils le virent, ils racontèrent ce que l’ange leur avait dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui entendirent les bergers furent étonnées de ce qu’ils leur disaient. Puis les bergers prirent le chemin du retour. Ils célébraient la grandeur de Dieu et le louaient pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu. » Luc 2.8-20
Là non plus, pas de démonstration exubérante de joie. Les bergers ont sans doute été déjà témoins d’une allégresse céleste formidable, eux n’éclatent pas de joie : ils sont impressionnés, émerveillés, profondément touchés. Ils se rendent auprès de l’Enfant avec appréhension, respect et attendrissement. Ils discutent et partagent volontiers entre eux et avec ceux qu’ils rencontrent sur leur route. On a sans doute du mal à les croire, mais ils sont sincères et ne cherchent pas à persuader : ils sont en route et veulent simplement suivre l’invitation de l’ange à visiter ce petit Enfant. Forts d’avoir vécu cette rencontre ensemble, entre amis voire en famille, ils retournent à leur occupation, auprès de leur troupeau sous le doux ciel d’une nuit sans doute chaude mais toujours agréable.
3. Desseins éternels
Dieu, dans son amour, nous a prédestinés à être ses fils adoptifs, par Jésus Christ, à la louange de la gloire de sa grâce.
Œuvre très méditative, bercée d’une mélodie lente et tendre sur des harmonies colorées. L’auditeur est comme invité à réfléchir à cette prédestination divine, privilège exceptionnel, réalisée par l’Incarnation du Verbe. Jésus incarnant la Parole venue sur terre, la Connaissance offerte à tous, nous sommes dotés d’un don particulier. Celui de Messiaen était, entre autres, de manier les couleurs sonores tel un véritable théologien des sons et exégète des mystères de la foi chrétienne.
« Chacun de nous a reçu un don particulier, l’un de ceux que le Christ a généreusement accordés. […] C’est lui qui a fait des apôtres, d’autres des prophètes, d’autres encore des évangélistes, des pasteurs ou des enseignants. C’est ainsi qu’il a rendu le peuple de Dieu apte à accomplir son service, pour faire croître le corps du Christ. De cette façon, nous parviendrons tous ensemble à l’unité de la foi dans la connaissance du Fils de Dieu. » Ephésiens 4.7-13
Si cette méditation manifeste sans doute l’art de créer des couleurs sonores inédites, quasiment improvisées, d’Olivier Messiaen compositeur et organiste, elle nous invite peut-être également à méditer sur notre propre don, notre propre appel, notre propre participation à un projet qui nous dépasse. Le silence et l’écoute sont les premières clefs pour saisir cet appel puis pour le développer. L’image d’illustration, détail de l’œuvre de Jean-Joseph Perraud, est intitulé Le Désespoir mais je vous invite à la comprendre ici d’une autre façon, comme l’expression d’une profonde réflexion personnelle. Assurément, l’homme ainsi pétrifié est sans doute possible en réflexion abyssale ; il appartient à chacun de lui prêter les sentiments fruits de notre imagination. Ce temps de Noël est certainement l’occasion de prendre ce temps, pour soi et avec ses proches, pour fêter le renouveau d’un cycle. Desseins éternels est un encouragement à perpétuellement reprendre conscience de son don particulier accordé de manière extraordinaire.
4. Le Verbe
Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils. De son sein, avant que l’aurore existât, il m’a engendré. Je suis l’Image de la bonté de Dieu, je suis le Verbe de vie, dès le commencement.
Le Verbe nous vient sur terre depuis le ciel, avec une évidente éloquence mais également avec puissance, presque avec autorité. Un premier dialogue se présente. Toutefois, deux rythmes redondants insistent chacun de son côté mais sans s’écouter d’où un décalage que doit rompre à nouveau la descente du Verbe. Maintenant que leçon semble avoir été apprise, un chant lent et solennel, au propos plus clair et plus tranquille, telle la bonté de Dieu, semble suspendre le temps. Le discours y est très libre, faisant croire à une improvisation, une inspiration spontanée de l’éloquence.
« Laissez-moi citer le décret du Seigneur ; il m’a déclaré : C’est toi qui es mon fils. A partir d’aujourd’hui, c’est moi qui suis ton père. » Psaume 2.7
« La bonté du Seigneur pour ses fidèles dure depuis toujours et durera toujours. » Psaume 103.17
« Celui qui est la Parole est devenu homme et il a vécu parmi nous, plein de grâce et de vérité. » Jean 1.14
La Parole de Dieu, le Verbe, s’est faite chair en étant incarnée par Jésus Christ. Il est venu du ciel sur la terre pour nous apporter la Vérité et nous montrer le chemin de la Grâce. Pourtant, le Verbe avait déjà été auparavant transmise, par les textes de la Loi. Mais nous n’avons pas su la comprendre et le Verbe a dû prendre forme humaine pour nous être communiqué et que nous puissions le comprendre. Si notre discours était alors confus et désordonné, en décalage avec le chemin, notre attitude peut désormais être en accord avec la bonté du Seigneur, que nous recevons et que nous devons transmettre à notre tour. Jean Baptiste en fût notamment un exemple fort – tant et si bien que certains estiment qu’il est le Verbe devenu homme ! Noël était d’abord la fête du retour de la lumière ; si nous célébrons la naissance de Jésus en cette période, c’est justement tout un symbole : Dieu nous a communiqué sa Bonté et offert la Grâce, faisons revivre ces hautes lumières dans notre monde, parce que Jésus nous est la Connaissance devenu compréhensible.
5. Les Enfants de Dieu
A tous ceux qui l’ont reçu, le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Et Dieu a envoyé dans leur cœur l’Esprit de son Fils, lequel crie : Père ! Père !
Cette méditation fait d’abord entendre un côté joueur qui fait néanmoins sentir par la suite qu’être enfants de Dieu n’est pas un jeu mais un pouvoir puissant, une réelle responsabilité. Cependant, c’est aussi un réconfort, une douce et tendre chaleur que l’on peut ressentir au fond du cœur grâce au souffle de l’Esprit Saint.
« Certains l’ont reçu et ont cru en lui ; il leur a donné le droit de devenir enfants de Dieu » Jean 1.12
« Car vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui vous lie à Jésus-Christ. » Galates 3.26
« Il nous tient en son pouvoir, nous-mêmes, avec nos paroles, toute notre intelligence et tout notre savoir-faire. C’est lui qui m’a donné une connaissance exacte de la réalité. […] Je connais non seulement ce qui est visible, mais aussi ce qui est caché, car la Sagesse, qui a tout organisé, me l’a enseigné. » Sagesse 7.16-17 et 7.21
Être enfant, c’est avoir besoin d’amour. C’est aussi et surtout être en période d’apprentissage. Le Verbe a été incarné pour que nous puissions apprendre de lui. Cette école est offerte, donnée gratuitement. Si sa formation est continue, jamais terminée, elle n’en est pas moins une réelle responsabilité. La Sagesse qui en est le fruit est une recherche constante car, comme toute vérité, elle est complexe et ne peut être saisie par un simple être humain. Nous sommes donc obligés, non seulement de la nourrir quotidiennement, de l’utiliser à bon escient. N’oublions pas qu’elle doit être aussi agréable que cet amour que nous pouvons ressentir et qui nous anime. La Sagesse n’est intelligente que si elle est vécue comme au sein d’une famille, avec amour et bienveillance. Sinon, elle n’est plus, et nous serions les malheureux responsables de sa perte.
6. Les Anges
L’armée céleste louait Dieu et disait : Gloire à Dieu au plus haut des cieux !
Des rythmes joyeux et guillerets semblent faire virevolter deux angelots, cédant à l’expression de leur joie.
« Tout à coup, il y eut avec l’ange une troupe nombreuse d’anges du ciel, qui louaient Dieu en disant : Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre pour ceux qu’il aime ! » Luc 2.14
La vision proposée ici n’est pas celle d’une armée guerrière, triomphante et éblouissante d’enthousiasme. Messiaen nous fait plutôt entendre des angelots, come de joyeux enfants, qui virevoltent avec peut-être une pointe d’espièglerie. Ils sont innocents, dansant sans a priori ni gratuité, encore moins de démonstration comme notre imaginaire peut nous le faire croire à la lecture du passage de Luc. Certes, les bergers prennent peur et sont fortement impressionnés. Mais qui ne prendrait pas peur à la vue de petits anges volant avec gaîté en plein milieu de la nuit…?! Au-delà de cette imaginaire, Messiaen invite à repenser la Gloire de Dieu et la joie des anges, non pas comme nous le ferions, nous, avec trompettes éclatantes et tambours sonores : avec innocence, authenticité, reconnaissance profonde et grand respect.
7. Jésus accepte la souffrance
Le Christ dit à son Père en entrant dans le monde : Vous m’avez agréé ni holocauste, ni sacrifices pour le péché, mais vous m’avez formé un corps. Me voici !
Après une injonction terrible répond une lamentation. Ce n’est pas une plainte triste mais plutôt une douce prière. Suit un passage de réflexion et de commentaire avant que l’on entende comme l’acceptation du plan divin. C’est un accord volontaire et pleinement conscient qui ne se dit pas sur le bout des lèvres mais avec un côté presque glorieux disant : « Me voici ! »
« Quand le Christ est entré une fois pour toutes dans le lieu très saint, il n’a pas offert du sang de boucs et de veaux ; il a offert son propre sang et nous a ainsi délivrés définitivement de nos péchés. […] Par l’Esprit éternel, il s’est offert lui-même à Dieu comme sacrifice parfait. » Hébreux 9.12-14
Le sacrifice du Christ, Fils de Dieu, est un des plus grands fondements de la foi chrétienne. C’est une réelle révolution dans la pratique de la Loi, puisqu’un sacrifice ultime et gratuit remplace tout autre sacrifice pour la demande de pardon et de salut. La période de Noël est souvent un temps de seule réjouissance de la naissance du Christ, mais elle ne prend véritablement sens que si l’on reste conscient du pourquoi Jésus s’est fait homme : il est venu pour être sacrifié pour nos péchés, lui qui n’en avait pas. Dès sa naissance, sa mission est scellée à son destin de souffrance. Celle-ci est tellement grande et propre à son enveloppe charnelle que Jésus doit la redécouvrir et l’accepter en tant qu’être humain. Un travail d’acceptation profond lui est requis. Il se lamente alors, tout en connaissant sa mission. Il ne fait pas preuve de larmoiements inutiles et exubérants. Bien au contraire, il partage ses sentiments et prend le temps de réfléchir seul, de faire un travail sur lui-même et de bien comprendre ce qu’il est et ce qu’il doit faire. Alors il accepte cette souffrance et, désormais pleinement conscient de la grandeur de cet acte, annonce avec dévouement qu’il est prêt.
Nous n’avons certainement pas toute l’intelligence de Jésus pour nous annoncer pleinement conscients et prêts quant à notre propre destin. Néanmoins, il nous est possible de suivre son exemple : partager nos sentiments, exprimer nos angoisses et nos peines ; prendre le temps de réfléchir à nos situations et à notre appel ; accepter ce que nous sommes, et ce peu importe les railleries, les découragements ou même les mauvais conseils – combien de fois certains ont tenté de piéger Jésus en utilisant à mauvais escient la Loi et ainsi l’écarter de son Destin et l’éloigner du Père ? C’est de cela que nous devons être conscients, s’accepter soi et être ainsi prêts à déclarer : « Me voici ! Me voici avec mes failles et mes forces, avec mes imperfections et mes qualités. Me voici tel que je suis, tel que tu veux que je sois, tel que tu m’as créé. Me voici, moi ! »
8. Les Mages
Les Mages partirent, et étoile allait devant eux.
Tout en contemplant le ciel et à suivre l’étoile, les mages se prennent à rêver, emportés par le chant du pédalier. Pourtant, ils ne cessent pas de marcher, avec régularité et assurance. Tout en poursuivant leur route, ils pensent à ce qu’ils voient, à ce qu’ils verront et à ce qu’ils feront et diront. Ils réfléchissent aussi et surtout à ce que tout cela veut dire, s’ils arrivent à bien prendre conscience de l’importance de l’évènement dont ils sont déjà les témoins et vers lequel ils vont à la rencontre pour en savoir davantage encore. Puis ils aperçoivent l’étoile qui s’arrête au-dessus d’une étable. Leur pas devient moins léger. Ils appréhendent un peu tout en commençant d’ores et déjà à s’émerveiller devant l’Enfant.
« [Des savants, spécialistes des étoiles, venus d’Orient] virent alors l’étoile qu’ils avaient déjà remarquée en Orient : elle allait devant eux, et quand elle arriva au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant, elle s’arrêta. » Matthieu 2.9
Les mages apparaissent ici réfléchir beaucoup. Ils ont comme guide une étoile ; on ne peut avoir de signe plus lumineux et évident ! Pourtant, ils réfléchissent. Ils ne courent pas tête baissée vers un demi-inconnu, malgré un enthousiasme certain. Ils ne prennent pas cet évènement à la légère et veulent le considérer dans son entier, dans tout ce qu’il implique et impliquera. C’est un moment extrêmement sérieux qui mérite réflexion, tout comme il mérite respect et dévotion. Leur marche est alors régulière, sûre et jamais précipitée. Là encore, on nous donne l’exemple de protagonistes prenant le temps. Et en son temps, l’étoile s’arrêta et les mages arrivèrent, sans retard, auprès de l’Enfant.
9. Dieu parmi nous
Paroles du communiant, de la Vierge, de l’Eglise toute entière : Celui m’a créé a reposé dans ma tente, le Verbe s’est fait chair et il a habité en moi. Mon âme glorifie le Seigneur, mon esprit a tressailli d’allégresse en Dieu mon Sauveur.
Comme l’image de Dieu ne peut être figée et que sa présence parmi nous ne peut qu’être aussi complexe que nos différences, les sentiments se succèdent dans cette dernière méditation : puissance, douceur et charme, joie vive ou modérée, solennité et noblesse ou allégresse tressaillante jusqu’à une fin glorieuse. Jésus, en se faisant homme, a vécu tous ces sentiments, parmi d’autres encore, s’humiliant avant d’être élevé là où est son véritable rang, au-dessus de tout. Tous se réunissent pour déclarer d’une même voix, malgré leurs différences, que Jésus est leur Sauveur. Ensemble, comme en ce temps de Noël, ils glorifient le Seigneur.
« Pendant que tu es jeune, n’oublie pas celui qui t’a créé. » Ecclésiaste 12.1
« Celui qui est la Parole est devenu un homme et il a vécu parmi nous, plein de grâce et de vérité. Nous avons vu sa gloire, la gloire que le Fils unique reçoit du Père. » Jean 1.14
« Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre pour ceux qu’il aime ! » Luc 2.14