Présenté au festival de Cannes 2024 dans la section Un Certain Regard, L’histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, se situe à mi-chemin entre le thriller et le drame social. Le récit se fixe sur un livreur de repas à vélo sans-papiers sillonnant Paris. Pour l’occasion, Boris retrouve Nina Meurisse et fait appel à une multitude d’acteurs non-professionnels sans aucune expérience de jeu, dont l’interprète du rôle-titre, époustouflant de justesse, Abou Sangare.

Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.

Avec ce long-métrage, le cinéaste nous plonge dans une réalité contemporaine, celle des flux migratoires, tout en offrant un portrait intime et profondément humain du protagoniste. Fable politique aux accents de thriller social explorant les défis de la migration à travers le parcours de Souleymane, jeune guinéen en quête d’un avenir à Paris, ce film n’est pas seulement une aventure personnelle, mais il débouche sur une profonde réflexion sur l’exil, la survie et l’espoir, dans un monde marqué par les inégalités et la violence.

Une épopée humaine

Boris Lojkine, après Hope (2014) et, d’une autre façon, Camille (2019), continue d’explorer les réalités africaines et celles des migrations, mais avec une approche encore plus intime. L’histoire de Souleymane se distingue par une narration qui s’attache aux détails de l’expérience humaine, faisant ressentir la détresse, l’épuisement et la persévérance du personnage. Lojkine, en véritable humaniste, nous place constamment aux côtés de Souleymane dans son périple parisien en vélo, bus ou métro, sans jamais le réduire à un simple symbole ou à un banal sujet d’actualité. Il réussit à éviter le piège du pathos, insistant davantage sur la dignité de Souleymane que sur son statut de victime.

L’histoire de Souleymane est un film qui, au-delà de la simple trajectoire individuelle, raconte aussi une épopée humaine marquée par la résilience. La mise en scène, d’une grande sobriété mais à la fois terriblement efficace, permet au spectateur de se concentrer pleinement sur l’évolution intérieure du personnage.

Abou Sangare, époustouflant de justesse

Les plans souvent resserrés sur Souleymane accentuent cette impression d’intimité, de proximité avec ses luttes personnelles. La caméra capte avec délicatesse ses moments de doute, mais aussi ses éclairs de détermination, où la résilience devient presque palpable. C’est aussi là qu’apparaît la performance remarquable d’Abou Sangare, dans le rôle de Souleymane, qui apporte toute la dynamique à cette histoire.

Son jeu, tout en retenue, traduit avec justesse la complexité de son personnage, entre la détermination de fuir un destin tragique et le poids des traditions familiales et communautaires qu’il doit gérer constamment. Il parvient à incarner la souffrance, l’espoir et l’endurance sans verser dans le mélodrame.

On comprend donc logiquement le choix du jury présidé par Xavier Dolan, dans la sélection Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes, de lui décerner le Prix d’interprétation masculine pour ce rôle difficile et exigeant. Cette récompense a mis en lumière son talent exceptionnel et sa capacité à porter sur ses épaules le poids d’un personnage complexe, tout en évitant les stéréotypes souvent associés aux récits sur l’exil. Dans la « vraie vie », Abou Sangare est, lui aussi, sans-papiers, il travaille comme mécanicien. Le réalisateur et la directrice de casting l’ont rencontré via une association à Amiens. Dans cette même sélection cannoise, le film a remporté également le Prix du Jury ainsi que celui de la Critique Internationale (Fipresci).

Grâce à une mise en scène soignée et des performances exceptionnelles, L’histoire de Souleymane s’impose comme l’un des films les plus touchants et importants de l’année, portant un regard humaniste sur l’une des plus grandes tragédies contemporaines. Un film qui restera certainement dans les mémoires, non seulement pour la qualité de sa réalisation ou de son interprétation, mais aussi pour son engagement profond en faveur des opprimés et des oubliés. Il rappelle que le cinéma, au-delà du divertissement, peut être un outil puissant de réflexion, de dénonciation et d’empathie.