Le mot ordinaire a une coloration péjorative par rapport à l’extra-ordinaire où il se passe quelque chose de particulier. Nous avons besoin d’entendre que c’est dans l’ordinaire de la vie que se construit la foi.

Un commentaire rabbinique nous aidera à comprendre l’enjeu de ce temps. Des sages se sont demandé pourquoi la génération de l’Exode qui avait connu les miracles les plus extraordinaires – les plaies d’Égypte, la mer coupée en deux, l’eau qui a jailli du rocher et la manne qui est tombée du ciel – est aussi la génération qui est tombée dans l’idolâtrie la plus vulgaire avec l’érection du veau d’or. Ils ont répondu que les miracles pouvaient provoquer des émotions fortes, mais qu’ils ne changeaient pas le cœur des humains en profondeur. Ce qui change le cœur de l’humain, ce n’est la multiplication d’expériences extraordinaires, mais la méditation quotidienne, ordinaire, de la parole de Dieu. C’est pourquoi il a fallu au peuple de l’Exode quarante années de désert pour devenir un peuple libre. Les sages ont dit que s’il a suffi d’une journée pour faire sortir le peuple d’Égypte, il a fallu quarante ans pour sortir l’Égypte – les catégories de l’esclavage – du cœur des Hébreux.

Un chemin de fidélité

Le temps ordinaire est le temps de la fidélité et la fidélité relève de notre responsabilité. Qu’est-ce qui fait qu’on a la foi ? Pour les uns c’est une évidence, pour d’autres un combat, pour d’autres enfin une éternelle question. En grec, le même mot (pistis) se traduit par foi, fidélité et confiance. La foi ne nous appartient pas, ce qui nous appartient c’est d’être fidèle, car la fidélité relève de notre responsabilité. Si nous sommes fidèles, c’est parce que nous avons la confiance qu’avec le temps la fidélité construit la foi.

Le temps ordinaire commence avec le dimanche de la Pentecôte, il pose l’Esprit saint comme le compagnon de la fidélité. L’Esprit vivifie les trois piliers qui portent une foi équilibrée : la lecture de la Bible, la prière et la vie en Église.

La lecture de la Bible

Le protestantisme est marqué par le rapport à la Bible. Il insiste sur la responsabilité du sujet dans la construction de sa foi. Cette dernière se nourrit de la lecture de Bible selon le principe d’interprétation qui consiste à lire la Parole de Dieu pour relire sa vie, et relire sa vie à la lumière de la parole de Dieu.

Le problème de la lecture de la Bible est qu’elle est parfois fastidieuse, il arrive qu’un passage ne nous parle pas. C’est pourquoi nous pouvons commencer notre lecture par une prière qui dit : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute ! ».

Dans les cultes protestants, on a l’habitude d’invoquer l’Esprit avant de lire la Bible. Une de ces prières dit : « Seigneur, si tu ne viens toi-même ouvrir les Écritures, notre lecture sera pauvre, et notre compréhension limitée. Mais si ton Esprit nous éclaire, la Parole fera sens et notre marche s’orientera. Esprit saint, viens ouvrir notre cœur et notre intelligence à la compréhension de la Parole. »

La prière

Nous trouvons dans les livres de piété de très beaux témoignages sur la prière, mais il arrive aussi à la prière d’être pesante et laborieuse. Si la prière était facile, tout le monde prierait.

Dans l’évangile de Luc, Jésus termine son enseignement sur la prière par une promesse : « Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demande[1]. » Avant même de commencer à prier, nous pouvons invoquer l’Esprit pour lui demander de nourrir notre prière afin qu’elle soit un temps de nourriture et de communion et non de sécheresse et de désert. Nous pouvons le faire en disant avec le psalmiste : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche dira ta louange[2] » ; une façon de dire : « Viens au cœur de ma prière pour poser ta lumière dans mes obscurités, ta présence dans mes déserts, ton espérance dans mes lassitudes. »

La vie en Église

Dans la première épître aux Corinthiens, Paul parle de l’organisation de l’Église en insistant sur la pluralité : « il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de services, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous[3]. » Si l’Esprit parle à chacun dans sa langue maternelle, il ne forme pas des clones identiques.

Un homme est allé voir le père du désert Abba Nisteros pour lui demander ce qu’il devait faire. Le sage a répondu : « L’Écriture raconte qu’Abraham pratiquait l’hospitalité et que Dieu était avec lui ; qu’Élie aimait à prier seul et que Dieu était avec lui ; que David était humble et que Dieu était avec lui. Par conséquent ce que ton âme désire accomplir selon la volonté de Dieu, fais-le ! » C’est le même Esprit qui a permis à Abraham de servir Dieu par l’hospitalité, à Élie de le faire par la prière et à David par l’humilité. L’Esprit nous invite à trouver notre vraie identité – notre couleur unique – devant Dieu, et à le servir avec ce qu’il y a de plus singulier et de plus profond en nous.

L’unité que donne l’esprit n’est pas à l’image d’une armée qui marche au pas, elle ressemble à un l’arc-en-ciel, une juxtaposition de couleur dans laquelle chacun brille de sa couleur unique

La merveille de l’ordinaire

Le temps ordinaire est irrigué par l’Esprit. C’est lui qui empêche que la lecture de la Bible ne se transforme en dogmatisme, la prière en répétition de formules creuses et la vie d’Église en institution. Un patriarche oriental a écrit : « Sans l’Esprit Saint, Dieu est loin, le Christ reste dans le passé, l’Évangile est une lettre morte, l’Église une simple organisation, l’autorité une domination, la mission de la propagande, le culte n’est qu’une évocation et l’agir de l’homme une morale d’esclave. Mais avec l’Esprit Saint, le Christ ressuscité est présent, l’Évangile est puissance de vie, l’Église est communion, l’autorité un service libérateur, la mission une Pentecôte. »

[1] Lc 11.13.

[2] Ps 51.17.

[3] 1 Co 12.3-6.