Alors que le procès de Marine Le Pen agite l’actualité, des voix s’élèvent pour dénoncer une supposée instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Certains parlent de « juges rouges », d’autres de « justice politisée ». Mais derrière cette polémique, un débat plus profond émerge : celui de l’attachement à l’État de droit, et de sa perception selon les traditions religieuses et culturelles.
Dans un échange entre Jean-Luc Mouton, responsable éditorial de Regards protestants VIDEO, et Frédérick Casadesus les raisons profondes de cet attachement des protestants à l’Etat de droit sont expliquées. Pour les protestants, ce principe juridique fondamental ne relève pas d’un simple formalisme. Il s’inscrit dans une vision du monde, héritée de la Réforme, où la responsabilité individuelle devant Dieu exclut toute médiation. « Il n’y a pas d’intermédiaire entre Dieu et nous », rappelle Casadesus. Dans ce cadre, l’État de droit apparaît comme une transposition laïque d’un impératif spirituel : chacun est responsable, chacun doit répondre de ses actes.
Cet attachement protestant à la loi s’illustre aussi à travers l’histoire. Frédérick Casadesus évoque l’exemple de Willy Brandt, ex-chancelier allemand protestant, qui démissionna dès la découverte d’un espion dans son entourage. À l’inverse, dans les cultures politiques influencées par le catholicisme, la politique a souvent été pensée comme supérieure à la morale. « Ce n’est pas une question de supériorité », nuance-t-il, « mais bien de culture politique différente ».
Pour autant, ce clivage religieux s’estompe. Comme le rappelle Jean-Luc Mouton, relayant les propos du professeur Benjamin Hoffmann, la mondialisation, le métissage culturel et l’émergence du populisme ont brouillé les lignes. Même les États-Unis, bastion protestant, voient naître des formes de pouvoir qui piétinent la séparation des pouvoirs — à l’image de Donald Trump, incarnation d’un populisme où « le peuple souverain » justifie tout, même l’arbitraire.
En France, la critique du « gouvernement des juges » brandie par certains responsables du Rassemblement national est jugée dangereuse. « Ce n’est pas aux juges de trancher un débat politique, mais aux représentants élus », insiste Frédérick Casadesus. Et si une loi ne convient plus, rappelle-t-il, le Parlement a le pouvoir de la modifier. Ce n’est pas à l’exécutif de contourner la règle.
Enfin, les protestants rappellent une chose essentielle : le respect de la loi est non seulement une exigence démocratique, mais aussi une garantie pour les minorités religieuses. Longtemps marginalisés, ils savent que l’État de droit est leur bouclier. C’est pourquoi, sans verser dans la naïveté morale ni dans l’absolutisme légal, ils défendent la séparation des pouvoirs comme un bien commun. Car sans elle, la démocratie vacille.
Et peut-être, concluent Jean-Luc Mouton et Frédérick Casadesus, faut-il aussi rendre hommage à ceux qui changent d’avis. Ce sont eux, les « girouettes », qui permettent les alternances et font vivre la démocratie.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Frédérick Casadesus
Entretien mené par Jean-Luc Mouton
Technique : Quentin Sondag