Dans son dossier du mois, Christianisme Aujourd’hui s’interroge : l’intelligence artificielle (IA) est-elle en passe de devenir le nouvel oracle de notre époque ? Sous la plume de David Métreau, rédacteur en chef, la revue propose une réflexion approfondie sur les usages croissants, et parfois troublants, de l’IA dans la sphère religieuse.
L’initiative du dossier vient notamment du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), qui pousse à une réflexion sur la compatibilité entre foi et IA. À l’heure où les intelligences génératives comme ChatGPT ou Grok sont interrogées comme des oracles modernes, une inquiétude monte : celle de voir l’homme déléguer sa pensée, voire sa quête spirituelle, à la machine.
David Métreau pointe un phénomène croissant sur les réseaux sociaux, où les IA sont consultées comme des sources de vérité quasi-divines. Grok, l’outil IA d’Elon Musk, est ainsi souvent sollicité comme s’il détenait une parole d’autorité indiscutable, à l’image d’un dieu numérique. Le phénomène est accentué par la prolifération de contenus trompeurs, y compris des deepfakes de figures religieuses, utilisées pour faire passer des pseudo-prophéties virales.
Cette confusion entre réalité et illusion s’avère d’autant plus préoccupante quand elle touche à la foi. Certaines IA, comme Réplica, offrent des compagnonnages virtuels personnalisés, parfois à visée sentimentale. Une journaliste, par exemple, a conçu une IA basée sur les échanges avec son ami décédé. Une manière de faire “revivre” les morts ? Un glissement éthique majeur, répond David Métreau, surtout dans un monde où le deuil, la solitude et la quête de sens fragilisent les repères.
Et quand l’IA se fait passer pour Jésus, comme certaines applications nourries du Nouveau Testament, la tension s’intensifie. « Ce Jésus numérique ne sera jamais le Jésus ressuscité », insiste David Métreau, rappelant que le Christ est une personne vivante, non une compilation algorithmique. Ce genre d’outil risque, selon lui, d’enfermer Jésus dans une caricature figée, loin de la complexité du message biblique.
Autre danger, la justice ou la guerre pilotées par IA, comme en témoigne le logiciel israélien « Lavender ». L’expert Jean-Pierre Graber, cité dans l’enquête, alerte sur le risque de déresponsabilisation morale. « La machine a décidé » ne peut devenir une excuse, avertit-il, en écho aux mises en garde d’Hannah Arendt sur la banalité du mal.
Le dossier ne condamne pas l’IA, mais appelle à une vigilance critique. Il plaide pour l’implication des philosophes, théologiens et croyants dans le débat technologique. Car comprendre l’outil, c’est aussi pouvoir en encadrer l’usage et en préserver l’humanité.
Christianisme Aujourd’hui conclut sans technophobie, mais avec lucidité : l’IA n’est ni l’ennemie ni le messie. À chacun de ne pas abandonner sa pensée ni sa foi à la machine.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : David Métreau
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Quentin Sondag, Horizontal Pictures