20.11.2022 : Lc 23.35-43 – Le Christ roi et le bon larron
Une royauté paradoxale
Introduction
Dans le calendrier liturgique, le dernier dimanche de l’année – dimanche prochain, nous serons le premier dimanche de l’avent – et la fête du Christ roi qui célèbre la royauté du Christ sur toutes les nations. Le panneau accroché à la croix dit que le Christ est roi, c’est un roi supplicié, et moqué par les religieux qui l’ont condamné et les soldats qui l’ont crucifié.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
Le vin aigre
Dans les quatre évangiles, on propose du vin aigre à Jésus en croix. Dans les autres on peut interpréter ce geste en lien avec la tradition qui disait qu’on en faisait boire les suppliciés afin de les étourdir, ce qui est un geste de compassion. Dans le contexte de ce verset, c’est un geste de moquerie qui accomplit le verset du Psaume qui dit : Ils mettent du poison dans ma nourriture, et, pour apaiser ma soif, ils me font boire du vinaigre (Ps 69.22).
Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis
Le aujourd’hui de la réponse de Jésus évoque l’urgence de l’évangile. Jésus est en croix, il souffre et il est rejeté, mais le plus important pour lui est d’accueillir dans son paradis le brigand qui partage son sort. Jusque sur la croix, il est dans l’accueil et le pardon.
Pistes d’actualisation
1er thème : Les chefs religieux et le diable
Les chefs religieux et les soldats se moquent de Jésus est accomplissent le Psaume 22 qui commence par le cri de Jésus : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? et qui se poursuit par la moquerie de ses adversaires : Tous ceux qui me voient se moquent de moi, ils ouvrent les lèvres, hochent la tête (Ps 22.2,8). Ils disent que si Jésus est le Christ, il n’a qu’à se sauver lui-même. Le procédé est particulièrement ignoble : ils ont flagellé Jésus, il l’ont crucifié, et maintenant ils lui demandent de se libérer lui-même !
Les religieux se rendent-ils compte qu’ils tiennent le discours des ennemis du psalmiste ? Se rendent-ils compte qu’ils tiennent le discours du diable qui dans la tentation au désert a proposé à Jésus de se jeter du haut du temple pour prouver sa messianité (Lc 4.9).
2e thème : Le brigand théologien
En demandant à Jésus de se souvenir de lui quand il entrera dans son royaume, le brigand déclare que Jésus est le propriétaire du royaume, autrement dit il le confesse comme Christ. Dans l’évangile, chaque fois que Jésus a annoncé la croix, les disciples ne l’ont pas cru, ne l’ont pas entendu. Et les religieux ont démontré qu’il ne pouvait être celui qu’il prétend être en le crucifiant. Le premier homme à associer le mot Christ et le mot croix et le brigand à ses côtés.
Dans un de ses sermons, Saint Augustin s’étonne de cette acuité théologique et interroge le malfaiteur pour savoir si, entre deux brigandages, il n’aurait pas étudié les Écritures et particulièrement le chapitre 53 d’Ésaïe. Le théologien met dans la bouche du malfaiteur la réponse suivante : « Non, je n’ai pas étudié les Écritures, mais Jésus m’a regardé et dans son regard, j’ai tout compris. »
3e thème : Jésus est roi
Sur la croix, un titulus indique les raisons de la condamnation : Cet homme est le roi des Juifs. Les Romains ont écrit cela par dérision, comme s’il disait : Regardez à quoi ressemble votre roi ! Et par un renversement dont l’évangile a le secret, ce titulus est juste. Nous retrouvons l’ironie de Caïphe qui dans le quatrième évangile veut se débarrasser de Jésus en disant : Vous ne vous rendez pas compte qu’il est avantageux pour vous qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne soit pas perdue tout entière (Jn 11.50). Ce qu’on peut appeler les vérités du second degré.
L’évangile est tellement paradoxal que c’est lorsqu’on veut le détruire qu’on l’accomplit. C’est dans la faiblesse que se révèle la force de l’évangile, c’est dans l’humilité que se révèle sa grandeur, c’est dans l’humiliation que se révèle sa victoire.
Une illustration : L’ivrogne de Dostoïevski
Lorsque Jésus accueille le brigand crucifié à ses côtés, il en fait un hôte de marque de son paradis. Ce paradis n’est pas celui des justes, mais celui des humbles.
Un des personnages les plus ignobles de la littérature est Marméladov, l’ivrogne de Crime et Châtiment. Dostoïevski met en scène cet homme qui a conduit sa fille à la prostitution pour assouvir son vice et nourrir sa famille. Un soir de beuverie, quand l’alcool conduit à la lucidité, l’ivrogne raconte : « Au jour du jugement, Dieu nous convoquera nous aussi : Allons, approchez, vous autres ! Venez les ivrognes, venez les infâmes, venez les impudiques ! Et nous avancerons tous sans aucune honte. Et les raisonnables s’écrieront : comment, vous les recevez, ceux-là aussi… Et il leur répondra : si je les reçois, ô vous les raisonnables et les intelligents, c’est que pas un d’entre eux ne s’en est jugé digne… Et il nous ouvrira les bras et nous nous y jetterons… Et nous fondrons en larmes et nous comprendrons tout ! Et tous comprendront. »
Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Christine Pedotti, écrivain, journaliste et directrice de la rédaction de Témoignage chrétien, pour discuter Luc 23, 35-43 : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/pourquoi-parler-du-christ-roi/
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis