Le texte de l’évangile de Luc du 22 juin (Luc 9, 11-17)

Dans un épisode relaté dans l’Évangile de Luc, Jésus, alors qu’il cherchait à se retirer avec ses disciples, se retrouve face à des milliers de personnes. Avec bonté il accueille cette multitude, leur parle du Royaume de Dieu, les guérit, puis répond à un besoin aussi terre-à-terre que vital : celui de manger.

Face à l’urgence, 5 000 hommes rassemblés dans un lieu désert, sans ressources, les disciples suggèrent de disperser la foule. Mais Jésus les défie : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils n’ont que cinq pains et deux poissons. Cela semble dérisoire, et pourtant, Jésus bénit ces modestes provisions, les rompt, et les fait distribuer. Le miracle a lieu : tous mangent à satiété, et douze paniers de restes sont recueillis.

Ce récit, relaté six fois dans les quatre Évangiles, témoigne de son importance mémorielle et théologique. Au-delà de l’aspect surnaturel, il révèle un geste profondément humain : nourrir, partager, faire communauté. Jésus ne fait pas qu’enseigner ou guérir ; il instaure un repas collectif, presque familial. En demandant aux disciples d’organiser les convives en petits groupes, il transforme une foule anonyme en une assemblée de visages, de regards, de paroles partagées.

L’acte de bénir, rompre et distribuer le pain préfigure l’Eucharistie, ce cœur battant du christianisme. Il fait écho aux gestes du père de famille juif, ancré dans la liturgie domestique. Le pain, simple, ordinaire, devient signe de grâce et d’abondance. Ce n’est pas l’extraordinaire tombé du ciel, mais l’ordinaire béni qui devient suffisant.

Ce récit évoque aussi l’hospitalité, la justice, et la transformation sociale : nourrir autrui devient une mission spirituelle et humaine. En rendant grâce pour ce qu’on a, même si c’est peu, on entre dans une logique de surabondance, spirituelle, mais aussi fraternelle. C’est cette radicale humanité du Christ, capable d’asseoir les hommes pour leur offrir le pain, qui continue de nourrir la foi et l’engagement des croyants.

Le récit de la multiplication des pains est celui qui est répété le plus grand nombre de fois dans le Nouveau Testament puisqu’il est raconté à six reprises dans les 4 évangiles, deux fois chez Matthieu et Marc, une fois chez Luc et Jean. Il est celui qui a laissé la plus grosse impression dans le souvenir des disciples.

Nous devons entendre qu’il nous dit quelque chose d’essentiel sur l’Évangile.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

Jésus se retire à l’écart

Nous devons commencer notre lecture au verset 10 qui est important pour le contexte. Jésus avait l’intention de se retirer à l’écart pour se retrouver avec ses disciples qui reviennent de mission, ils ont tant de choses à partager. Le mot écart (idios) signifie lui-même et il est précédé d’une préposition qui évoque un mouvement descendant (kata). Jésus est descendu en lui-même pour avoir un moment de partage avec ses disciples.

Dans un lieu désert

La foule a rejoint Jésus et ses disciples dans un lieu désert. Le désert est un des lieux où se féconde l’Évangile. C’est au désert qu’une autre foule était venue écouter Jean (Lc 3.2), c’est au désert qu’il avait refusé de transformer les pierres en pain (Lc 4.1), c’est au désert qu’il s’est retiré pour prier (Lc 4.42, 5.16), c’est au désert qu’il se prépare à poser le signe de la multiplication des pains.

Pistes d’actualisation

1er thème : Donnez-leur vous-mêmes à manger

Les disciples ont demandé à Jésus de renvoyer la foule pour qu’elle trouve du ravitaillement, ce dernier leur répond qu’ils sont responsables de ces hommes et ces femmes qui sont venus jusqu’à eux : Donnez-leur vous-mêmes à manger.

Depuis ce texte, on ne peut plus dire à un affamé : débrouille-toi pour trouver du ravitaillement. Un sage a dit que pour un affamé, sa faim était un problème matériel, mais que pour celui qui le voit, c’est un problème matériel.

Nous ne pouvons pas vivre comme si la faim de nos prochains ne nous concernait pas directement. Dans la parabole du jugement dernier, celui qui a faim est une figure du Christ : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mt 25.35).

2e thème : La prière de Jésus

Pour nourrir la foule, Jésus n’a transformé les pierres en pain, mais il a multiplié les pains qu’il avait. Dans sa prière, il n’a pas demandé que les pains et les poissons se multiplient, il a rendu grâce pour ce qu’il avait, même si ce qu’il avait était dérisoire face à la tâche à accomplir.

La succession des verbes : pendre les pains – lever les yeux au ciel – prononcer la bénédiction – le rompre – le donner aux disciples est la même que pour l’institution de la cène. Ce récit nous aide à comprendre ce que nous faisons dans nos eucharisties : Nous n’avons sur la table qu’un simple morceau de pain et une coupe de vin, mais par la foi nous pouvons comprendre que c’est une nourriture qui est au-delà de ce que nous pouvons voir et comprendre.

3e thème : La surabondance des restes

À quel moment le miracle a-t-il eu lieu ? Lorsque Jésus a béni les pains et les poissons, lorsqu’il les a donnés aux disciples, ou lorsque ces derniers les ont distribués à la foule ? Si l’évangile ne le dit pas, c’est que nous n’avons pas besoin de le savoir. Ce silence nous empêche de nous arrêter à la matérialité du miracle pour n’en retenir que le sens : quand nous avons trop peu devant une tâche trop grande, nous avons deux choses à faire : rendre grâce pour le peu que nous avons, et commencer.

Le vrai miracle est qu’il est resté douze corbeilles de restes, une par apôtre. Ils ont été les témoins de la vérité du verset qui dit : Donnez, et l’on vous donnera ; on versera dans la grande poche de votre vêtement une bonne mesure, serrée, secouée et débordante (Lc 6.38).

Une illustration

Un récit du Premier Testament qui préfigure la multiplication des pains et la multiplication de l’huile et de la farine chez la veuve de Sarepta. L’histoire est la suivante : à l’heure de la famine, le prophète Élie demande à une veuve de lui faire à manger. Elle a répondu qu’il ne lui restait qu’un peu d’huile et de farine, qu’elle allait faire une galette et qu’ensuite il ne leur resterait plus qu’à mourir. Le pot de farine ne s’est jamais épuisé et la cruche d’huile ne s’est jamais vidée. Le miracle du partage et de la générosité. C’est à chacun d’expérimenter que la générosité nous enrichit.

Le texte du livre des Actes du 22 juin (1 Corinthiens 11.23-26)

Institution cène  

Le contexte – La première épître aux Corinthiens

Après avoir séjourné dix-huit mois à Corinthe, Paul a laissé derrière lui une Église à laquelle il est particulièrement attaché. Dans les temps qui ont suivi, il a reçu des nouvelles inquiétantes sur un certain nombre de troubles qui agitaient cette Église, notamment dans la tenue du repas du Seigneur.

Dans les versets qui précèdent ceux qui sont proposés à notre méditation, Paul évoque les dissensions dans l’Église. Alors que le repas du Seigneur devrait être un lieu d’unité et de réconciliation, il est un lieu de division et même de scandales puisque les uns ont faim alors que d’autres sont ivres. Paul profite de cette situation pour rappeler que le repas a été institué par le Seigneur. 

Que dit le texte ? – L’institution de la cène

Paul commence par déclarer que ce qu’il proclame ne vient pas de lui, mais qu’il l’a reçu du Seigneur, ce qui donne une autorité particulière à son propos.

Il fait écho au dernier repas de Jésus, la veille de sa mort. Alors que pour les humains, cette mort apparaît comme une injustice scandaleuse, Jésus retourne le sens en en faisant un don. La mort qui devait être une séparation radicale va se transformer en une présence différente du Christ aux côtés de ses amis.

Pour approfondir le sens de ce don, notre texte évoque deux points qui appartiennent à leur tradition.

Faites ceci en mémoire de moi. Le dernier repas devient un rite à recommencer pour actualiser et rendre présent le don de Jésus pour ses disciples.

La nouvelle alliance en mon sang. Dans la Bible, l’alliance est le mode de relation de Dieu avec les humains. Une alliance nouvelle a été annoncée par Jérémie pour évoquer une relation directe avec le Seigneur sans médiation religieuse.

Pour Paul, le repas du Seigneur devient théologiquement le cœur de la foi chrétienne.

Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – La multiplication des pains

Les différents textes de ce dimanche font le lien entre le repas qu’Abraham a partagé avec Melkisédek, la multiplication des pains, le dernier repas de Jésus et la mémoire de ce repas dans le partage de la cène. À travers ces récits, Dieu se laisse trouver dans les repas que nous partageons.

La foi relève d’une démarche spirituelle, mais c’est dans les actes les plus ordinaires de nos journées que nous sommes invités à découvrir la présence de Dieu dans notre histoire. À l’image de Jésus, nous sommes invités à rendre grâce pour le moindre morceau de pain, car il peut devenir pour nous signe de la bénédiction du Seigneur sur notre histoire. 

Le pain qui est chaque jour sur notre table qui nourrit notre corps et le vin qui réjouit notre cœur sont des miracles aussi importants que l’ouverture de la mer des Joncs. 

Le texte de Genèse du 22 juin (Genèse 14.18-20)

Abraham et le prêtre Malki-Tsédeq 

Le contexte – Le livre de la Genèse 

Pour nous parler de Dieu, le livre de la Genèse ne parle pas de ses attributs ni de la façon dont il maintient le monde, il nous raconte l’histoire d’hommes et de femmes – les patriarches et les matriarches – aux prises avec la promesse d’une terre et d’une descendance, c’est-à-dire d’un espace où vivre et d’une histoire à habiter. 

Le premier de ces patriarches est Abraham qui a reçu la promesse mais qui n’a vu qu’un tout petit bout de sa réalisation : Dieu lui a promis une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, mais il a attendu d’avoir cent ans pour que naisse l’enfant de la promesse, et en plus, il a cru que Dieu lui demandait de le sacrifier. Dieu lui a fait la promesse d’une terre, mais la seule propriété qu’il ait eue a été la grotte dans laquelle il a enterré sa femme Sarah. 

C’est en pensant à Abraham que l’auteur de l’épître aux Hébreux a défini la foi comme une manière de posséder déjà ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas (Hé 11,1). Dans le texte de ce dimanche, Abraham le premier qui a reçu le beau nom d’Hébreu rencontre un personnage mystérieux, Malki-Tsédeq dont le nom signifie roi de justice. Il représente l’humanité qui ne connaît pas le Dieu d’Israël, mais qui vit selon un certain sens de la justice comme son nom l’indique. Le texte dit qu’il était prêtre du Dieu très Haut, du Dieu de la nature, celui qu’on perçoit dans la contemplation de l’univers. Quand il croise Abraham, c’est la religion cosmique qui rencontre la religion biblique.

Que dit le texte ? – La bénédiction d’Abraham

Malki-Tsédeq bénit Abraham au nom du Dieu dont il est le prêtre, car il reconnaît en lui un juste. Après avoir béni Abraham, Malki-Tsédeq bénit Dieu pour avoir permis à son serviteur d’être vainqueur dans ses combats.

Dans le Nouveau Testament, la lignée de Melkisédek évoque l’humanité païenne qui reconnaît le Dieu qu’elle ignore, nous la retrouvons dans la figure des mages qui apportent des cadeaux à la crèche. Ils. Dans l’épître aux Hébreux, il est dit de Jésus qu’il est grand-prêtre selon l’ordre de Melkisédek pour dire que l’humanité tout entière est récapitulée dans son ministère. 

Malki-Tsédeq a apporté le pain et le vin qui représentent les fruits de la terre, en réponse à cette bénédiction, Abram donna la dîme de tout. Le sens de la dîme est la reconnaissance par Abraham que ce qu’il a acquis l’a été grâce au Seigneur. La dîme est un geste de gratitude avant d’être un impôt. 

Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – La multiplication des pains

Dans les évangiles, la multiplication des pains est le miracle qui a laissé le plus gros souvenir dans la mémoire des disciples, car c’est celui qui est raconté le plus grand nombre de fois (six occurrences dans les quatre évangiles). L’acte le plus élémentaire de notre vie, manger, et transformé en signe pour souligner la grâce de Dieu.

Le lien avec le récit de la rencontre d’Abraham avec Malki-Tsédeq nous rappelle que Jésus a utilisé les fruits de la terre pour dire son Évangile. Ce sont tous les pains que nous mangeons qui deviennent signe de la grâce de l’Évangile.  

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenants : Antoine Nouis, Christine Pedotti