Depuis le début du XXIe siècle, le recours au lexique de la francophonie s’est banalisé au sein de nombreuses grandes organisations protestantes, évangéliques ou non. La référence francophone permet de mutualiser les ressources, d’élargir l’impact, et de mobiliser bien au-delà des frontières nationales. Trente ou quarante ans auparavant, il en était tout autrement. Le registre francophone n’était alors que rarement mobilisé dans les Églises. Il revient à réseau dénommé COEF5, aujourd’hui en sommeil, d’avoir initié, avant beaucoup d’autres, une ambitieuse dynamique de mobilisation fondée sur une communion francophone internationale.

C’est en 1991 naît COEF 5, sous l’impulsion du pasteur évangélique charismatique Philippe Joret, basé dans le Sud-Ouest de la France, à Montauban. Précocement sensibilisé à la francophonie, constatant « combien peu de liens réels existaient entre les pays francophones »[1], le jeune pasteur commence à fonder, dès 1984, un Espace Missionnaire Francophone, qui met déjà l’accent sur les échanges avec l’Afrique et l’Amérique du Nord. En 1991, la « vision » du fondateur se précise, se confronte au regard d’autres pasteurs, tels Carlo Brugnoli (de Jeunesse en Mission), Ismaël Sadok (Afrique du Nord) ou Mamadou Karambiri (Burkina Faso). La réflexion débouche sur la création de la Communion des Oeuvres et Églises dans la Francophonie sur les Cinq Continents (d’où le sigle COEF 5).

Trois conférences internationales

En 1992, l’association prend forme légale, et déploie ses activités jusqu’en 2000, en direction d’une mise en réseau volontariste, francophone, infusée de culture protestante évangélique charismatique. Les événements les plus médiatisés sont les rassemblements internationaux, au nombre de trois. Une première conférence internationale a lien en juillet 1993 à Bordeaux, rassemblant plus de 1500 délégués originaires de 34 pays différents. Exhortations, visions, enseignements sont au programme, sous le signe de la francophonie et de l’évangélisation des nations. Sur le site internet de l’organisation (www.coef5.org/), elle est décrite comme « significative et porteuse d’une prise de conscience de la puissance libérée par la convergence des uns vers les autres ». La seconde conférence internationale se déroule deux ans plus tard à Yamoussoukro (Côte d’Ivoire). 2000 délégués, représentants 39 « nations », participent aux échanges en cette année 1995. Pasteurs, hommes politiques, prophètes, leaders répondent présent. Les discussions sont davantage tournées vers les stratégies communes, notamment en matière de mission urbaine. Enfin, la conférence internationale COEF 5 de Montpellier, en l’an 2000 a regroupé 1600 délégués, originaires de 38 pays francophones différents. Avec au menu une question ouverte : « Quelle francophonie au XXIe siècle ? ».

« Signe dans la francophonie »

Au côté de ces grandes conférences, deux autres dynamiques porteuses ont nourri l’action du réseau COEF 5. La première est la diffusion du magazine « Signe dans la Francophonie », dont Philippe Joret est directeur de la publication depuis sa création, en 1993, jusqu’en 2001. Largement diffusé, ce périodique a contribué à populariser, dans de nombreux milieux d’Église, une autre manière de penser le témoignage francophone, en décloisonnant le regard au-delà des frontières nationales. Cette publication propose, durant plusieurs années, un laboratoire d’idées pour innover dans les relations ecclésiales francophones. Ainsi, dans le numéro d’octobre-décembre 2010, Philippe Joret y plaide pour des jumelages entre Églises de différents pays francophones. « Il faut que chaque église soit jumelée en triangulaire : Afrique, Europe, Amérique par exemple »[2]. La seconde dynamique porteuse est l’organisation de conférences régionales, continent par continent, en Europe (France) et en Afrique (Gabon, Bénin), à vocation de mobilisation et de formation à l’évangélisation des « nations », sur un mode charismatique.

Héritages

Le bilan de ces mobilisations en réseau n’a pas été négligeable. Il a favorisé l’interconnaissance, la mutualisation, la formation entre des milieux ecclésiaux francophones qui avaient peu l’habitude, jusque-là, de se rencontrer par-delà les continents. Il a également sensibilisé les acteurs, y compris dans certains milieux politiques, à la communion linguistique d’une francophonie chrétienne en partage. Enfin, il a stimulé la mise en place de « ministères » indépendants de COEF 5, mais tournés eux aussi vers la francophonie, comme les œuvres liées au TopChrétien francophone (portail lancé en 1999). Mais COEF 5 ne s’est pas pérennisé. Confronté à des querelles d’ego, des conflits de préséance, des difficultés organisationnelles inhérentes aux collaborations internationales, conjugués à une relative inexpérience aussi, il s’est éteint en 2001-02. Après une phase de remise en question et de réorientation pour son fondateur, COEF 5 renaît cependant timidement en 2008-09, relance un site internet, organise même une conférence internationale « Leadersynergie » à Agen, avec « 70 leaders de 14 nations différentes de la francophonie ». Joret défend alors l’idée d’un « un réseau d’influence et de service en concertation« . Mûri par l’expérience des limites et dérives possibles lorsqu’on appartient, comme lui, à des milieux charismatiques innovants, Philippe Joret, entre-temps installé au Canada, prend peu à peu du champ.

Dans un billet rageur publié sur le site de COEF 5, le 27 avril 2011, il proclame sa tristesse et sa « honte » devant l’intervention autoritaire de la France dans la crise ivoirienne (qui aboutira à l’arrestation de Laurent Gbabgo). Il conclut alors, amer mais non abattu, que « la France est en train de s’amasser un capital d’antipathie qui a miné pour longtemps la notion de la belle francophonie. Beaucoup savent que j’y ai cru et que j’ai consacré des années de ma vie. Mais aujourd’hui, je ne peux plus y croire de cette façon »[3]. Il ne baisse cependant pas les bras, revendiquant le combat pour « un leadership sain, des églises saines et des nations saines ». Le portail internet COEF 5 va subsister jusqu’au début 2016, mais ce réseau, qui se définissait comme « une place publique du village francophone chrétien », ne retrouvera pas le dynamisme de la fin du siècle dernier. Reste un héritage et une « boîte à idées » pour beaucoup de protestants entre Québec, France et Côte d’Ivoire, convaincus qu’au XXIe siècle, la francophonie en réseau est une idée d’avenir.

[1] Philippe Joret, « Historique », site internet de COEF 5, article posté le 30 mars 2009.

[2] Philippe Joret : « Montpellier 2000 : un pas en avant pour les chrétiens dans la francophonie », Signe dans la francophonie, oct-déc. 2000, n°37, p.2.

[3] P. Joret, « Francophony, finie la francophonie ? », 27 avril 2011, site internet de COEF 5 International.