Ce dernier est proche de la cour de Navarre et travaillera pour le roi Henri.
Il se convertit au catholicisme romain, ce qui lui vaudra la haine de ses anciens coreligionnaires, mais meurt prématurément.
Son oeuvre poétique, composée alors qu’il était encore protestant, est très marquée par la théologie réformée.
Le poème
Mon ame, esveille-toy de ta couche mortelle,
Ce jourd’huy ton Sauveur à son banquet t’appelle,
Où luy-mesme doit estre et ton vin et ton pain,
Ce père nourricier sera ta nourriture,
Pren son sang pour bruvage, et sa chair pour pasture,
Tu n’auras jamais soif, tu n’auras jamais faim.
Mais despouille plustost ces vieux haillons de vices,
Pren ton habit entier, ta robe de délices,
Et pour un jour si sainct, ceins-toy de saincteté.
Cest innocent Agneau te demande innocence :
Si pour la luy donner tu n’as point de puissance,
Mon Ame, il te demande au moins la volonté.
C’est ceste volonté, mon Ame, qu’il faut prendre,
D’où soudain le désir de bien faire s’engendre,
Et le désir conçoit les desseings plus parfaicts,
Les desseings à la fin aux effects se conduisent.
Toutefois rien de toy : C’est les Cieux qui produisent
Ce vouloir, ce désir, ces desseins, ces effaicts.
Eslève donc aux Cieux, mon Ame, ta pensée,
Trop long temps au bourbier de ce monde enfoncée :
Céleste, dans les Cieux lève-toy, guinde-toy :
Acquiers-toy ce beau jour un si bel advantage,
Et monstre que tu sçais nourrir dans ton courage
D’une humble repentance une sublime foy.
Sublime foy de qui le pied la poudre frappe,
Et brisant les cordeaux de ce Monde, s’eschappe
Dans l’azyle des Cieux, où gist sa seureté,
Tandis que ceste chair n’aguères indomptable,
Craignant le doux abord de ceste Saincte Table,
Et se dompte et s’asseure en son humilité.
Hé, qu’estoit-ce de toy devant ceste journée !
Ame pleine d’ordure, Ame désordonnée,
Où le mal sans le bien s’est toujours attaché ?
Mais ce jourd’huy, mon Ame, où Dieu mesme s’avance
D’entrer dedans toy-mesme, entre en ta conscience,
Tu verras ton salut si tu vois ton péché.
Mon Ame, couvre-toi du sac et de la cendre,
Fay l’orgueil relevé de tes sourcilz descendre,
Pleure sur tes forfaictz, source de tes malheurs.
Ta foy s’allumera dans ces cendres estainctes,
Et produira bien tost la joye dans tes plainctes,
La gloire en ton rabbaiz, et le ris en tes pleurs.
Joye d’aller au Ciel, gloire de s’y voir estre,
Ris de voir les rayons esclatans de son Maistre,
Et les vivans thrésors qu’il garde pour les siens.
Pren donc, mon Ame, pren de la foy la saincte aile,
Et volant aujourd’huy vers l’Essence éternelle,
Vuyde-toy de tes maux et t’emply de ses biens.
Embrasse estroictement ce Corps brillant de gloire,
Embrasse-le, mon Ame, et à force de croire
Mange-le tout entier, comme tu doibs manger,
Hume ce sang vermeil respandu de ses veines,
Et remporte du Ciel des espreuves certaines
Que j’en suis domestique et non pas estranger.
Or cependant qu’au Ciel ceste double substance
Saoule l’avidité de ta ferme asseurance,
Avec le fruict entier de ce sainct Sacrement.
Icy mon foible corps beaucoup moins que toy digne,
Mais il prend tout par toy comme invisiblement.
N’en prend visiblement que le visible signe.
Mais, hélas ! mon Sauveur ; Mais quoy ? faut-il encore
Que je mange ce corps, ce Sainct corps que j’adore ?
Seray-je son meurtrier, seray-je son tombeau ?
Ou bien ce corps mangé retiendra-t-il sa vie ?
Esprit de vérité, pour brider mon envie,
Sille mes yeux ouverts d’un modeste bandeau.
Tu veux, et je le sçay, que ta simple parolle
Soit toute la raison qu’on cerche en ton eschole,
Cest immobile appuy soustient ta vérité.
Pardonne-moy pourtant, si je l’ose entreprendre,
Le regret d’ignorer et le désir d’apprendre
Donneront couverture à ma témérité.
Il me suffit, ô Dieu, que mon insuffisance
N’arreste point le cours de ta bénéficence,
Tu sçais comme tu donne, et moy comme je prens :
C’est jusques où s’estend l’effort de ma foiblesse,
Mais, Seigneur, pour ne perdre en moy ceste largesse
Fay-la-moy prendre mieux que je ne la comprens.
Ha ! que je suis heureux de sentir en mon Ame
Les savoureux effects du zèle qui l’enflamme,
Je sens, mon Dieu, je sens ces effects savoureux.
Je te prens, Homme-Dieu, Homme-Dieu je te mange,
Et te mangeant je sens que je fais un eschange
Du fiel amer du monde au miel des bienheureux.
Prophane, esloigne-toy d’un si sacré mystère.
Mais, ô vous, qui des saincts portez le charactère
Venez avecques moy, Mignons, dans ce sainct lieu,
Vous, espoints du désir d’une éternelle vie,
Beuvez tous ce Nectar, mangez ceste Ambrosie,
Nul ne vit qui ne vit en la table de Dieu.
C’est ores, mon Sauveur, qu’il me vient en mémoire,
A quel prix tu gaignas ceste belle victoire,
Qui des torrents d’Enfer nous tira dans le port :
Il te fallut hélas ! mon Dieu, chercher toy-mesme
A noz extrêmes maux ce seul remède extrême,
Et toy-mesme mourir pour meurtrier nostre mort.
Le Ciel fermé pour nous s’enflammoit de cholère
Pour le premier péché de notre premier père,
Elle croissoit en luy comme le vice en nous :
De ces feux s’allumoient les feux de la vengeance :
Si tu n’eusses esteint des eaux de ta clémence
Les feux de la vengeance et les feux du courroux.
Sainct ouvrier, tu ne peux voir périr ton ouvrage,
Noz forfaicts, qui du Père animoient le courage,
Animèrent le Fils d’un doux vent d’amitié :
Vous sentistes tous deux deux passions contraires.
Le Père en noz péchez, le Fils en noz misères,
Le Père la rigueur, et le Fils la pitié.
Tu prinz nostre party, et te rendis en somme,
Pour ravir au danger tous les hommes, un homme,
Et chargeas leurs péchez toy-mesme sans péché ;
Alors pour nous aimer, Dieu te prit comme en haine,
Et pour nous soulager, te donnant nostre peine,
Le vaisseau de son ire en toy fut espanché.
Tu sentis les effrois de son aspre disgrâce,
Quand les grumeaux de sang ondoyaient sur ta face,
Quand l’ange sérénoit ton courage troublé,
Quand t’efforçant encor de prendre un subterfuge,
Qui te fist eschapper les rigueurs de ton Juge,
Tu fus, sinon vaincu, pour le moins esbranlé.
Mais esbranlé deslors, et vaincu davantage,
Quand les clous en la croix blémissoient ton visage,
Quand le fer de ton flanc tiroit le sang et l’eau :
Tu fus, dy-je, pour lors vaincu de ton martyre,
Dieu te quitta luy-mesme en l’ardeur de son ire,
Et tu t’allas cacher jusques dans le tombeau.
Tu fus jusqu’aux Enfers. Merveilleuses justices !
Nous avions par nos maux mérité ces supplices,
Et tu les eus, Seigneur, sans l’avoir mérité.
Mais hélas ! il falloit pour trouver la clémence
Dedans l’ire de Dieu, qu’il trouvast l’innocence
Où son ire devoit punir l’iniquité.
Ainsi pour avoir pris le fardeau de nos crimes,
La Mort pour t’engloutir entr’ouvrit ses abysmes,
Mais puis ton innocence engloutit ceste Mort.
Deux jours tu fus plus foible, et la mort fut plus forte,
Mais le tiers tu reprins tes esprits de la sorte
Qu’elle fut la plus foible, et tu fus le plus fort.
Tu despouillas ta honte, et revestis ta gloire,
Tu t’en allas vaincu, tu revins en victoire,
Les maux qui t’oppressoient te tournèrent le dos.
Des enfers, de la Mort, la puissance estouffee,
Après tous tes combats te servit de trophée,
Et le Ciel à la fin leur servit de repos.
Dans ce Ciel, mon Sauveur, où t’emporta la nue,
Et d’où nous attendons ta seconde venue,
Tu te sieds glorieux à la dextre de Dieu.
Homme-Dieu tu fais là ta demeure certaine,
Mais ta Divinité en tous lieux se demeine,
Et ton Humanité ne se tient qu’en un lieu.
Mais pourtant tu ne veux qu’elle s’y tienne oisive,
Ains qu’un chascun de nous, pour vivre avec toy, vive
De ceste Humanité qui ne peut plus périr ;
Ta mort fust nostre mort, ta vie est nostre vie,
Puisqu’elle est de te chair et de ton sang nourrie :
Vivant ainsi, Seigneur, craindrons-nous de mourir ?