Les uns ont attendu fébriles, les autres sont arrivés chargés d’airs lointains. La tribu est enfin réunie. La table, le sapin, la crèche les accueillent dans le temps béni de Noël. Chacun aspire à la parenthèse dans l’anxiété du monde. À la sécurité du cocon retrouvé. Noël nous rappelle à chacun que nous avons été un jour des enfants. Les grands suspendent le flot des contraintes de l’âge adulte. Les petits sont tout à leur excitation. Parmi les odeurs de dinde rôtie qui s’échappent déjà du four, ils s’agitent dans les pattes de leurs aînés affairés en cuisine. Dans le salon, grand-père se réchauffe à la chaleur des bougies qui illuminent la table. Un oncle s’est éclipsé discrètement dans le cagibi et glisse son nez dans le réfrigérateur pour humer le parfum de café de la bûche à la crème au beurre. Comme toujours, les ados l’ont pincé. La scène se répète chaque année. Ils rigolent à gorge déployée depuis la terrasse. Que le bois crépite dans la cheminée d’une grande maison ou que sa reproduction flambe virtuellement sur l’écran d’un appartement, l’ambiance soigne la chaleur. De famille en famille, chaque Noël est singulier. Mais toutes misent sur l’amour et l’harmonie.

Nous espérons tous que la crise sanitaire ne nous volera pas ces instants précieux cette année. Déjà, il nous a fallu renoncer à l’effervescence de la montée vers Noël et c’est bien suffisant. Tus, les chœurs cristallins des enfants. Confisquée, la cannelle des bredele de grand-mère les dimanches de l’Avent autour du thé chaud. Interdite, la fameuse promenade bras dessus bras dessous à travers les allées encombrées du marché de Noël. Floues, les lumières étincelantes qui embrassent la ville. Réduits au silence, les vins chauds qui nous tiraient des éclats de rire.

Bien sûr, il ne serait pas juste d’oublier les Noëls fragiles. Ceux qui ont déçu. Notre idéalisation de l’enfance, quand elle a été trop chargée d’attentes en ce jour nouveau, a parfois pu laisser place aux anciennes rivalités et aux frustrations ravivées. L’absence de jeunes enfants, autrefois fédérateurs de l’insouciance générale, a pu ternir la fête. L’absence d’un être cher, décédé ou resté au loin, a pu gâcher ce sentiment d’une enveloppe sécure absolue.

Alors pour entretenir le plaisir d’un moment de paix, souvenons-nous des belles recettes qui ont enchanté les fêtes passées. Celle de la beauté simple d’une table soignée. Celle de l’armistice et de la trêve concédés quand ils ont été nécessaires. Celle où nous avons modulé nos échanges, nous passant de mise en avant pour préférer l’écoute. Celle des relances attentionnées qui ont nourri le cercle vertueux de l’entente. Celle où quelles qu’eurent été les tensions potentielles, nous avons préféré vaincre nos velléités à briller pour tolérer l’autre dans la discrétion, et finalement opérer une formidable victoire sur nous-mêmes. Quand plutôt que les regrets nous avons choisi de construire des lendemains riches de bons souvenirs.