En octobre dernier, des roquettes sont tombées sur le musée Khanenko à Kiev, soufflant les fenêtres. Les œuvres qui pouvaient être déplacées avaient préalablement été décrochées et placées dans des réserves, mais celles-ci ne pouvaient garantir des conditions optimales de conservation. C’est la raison pour laquelle la directrice du musée s’est adressée au Louvre pour demander que les plus précieuses soient recueillies en France.

Art byzantin

Au total, seize œuvres d’art ont été mises à l’abri, dont de très anciennes icônes. La directrice du Louvre concède que « c’est peu de choses dans un océan de tristesse et de désolation mais c’est tout un symbole. » (AFP) Toujours en octobre 2022, l’Unesco avait listé 240 sites ukrainiens ayant souffert de dommages plus ou moins importants. Lorsqu’un pays subit des attaques sur son sol, les atteintes au patrimoine culturel ne sont pas mineures : elles peuvent porter atteinte à l’histoire, l’âme et, pour finir, à l’identité du pays menacé. Les seize œuvres concernées ont été escortées militairement via la Pologne et l’Allemagne avant d’arriver en France. Onze d’entre elles, « emblématiques et fragiles » sont mises à l’abri et étudiées en vue d’une possible restauration. Les autres, cinq icônes byzantines dont la plus récente date du XIIIe siècle, sont présentées sous le thème « Aux origines de l’image sacrée », en attendant 2027 et l’ouverture très attendue d’un département consacré aux arts de Byzance et des chrétientés en Orient.

Vénérées, pas adorées

L’exposition de ces icônes (« images », en grec) permet au public de mieux comprendre le sens de ces œuvres qui tiennent une place essentielle dans la spiritualité orthodoxe. Développées à partir des Ve et VIe siècles, la tradition attribue leur origine à l’apôtre Luc, qui aurait peint la Vierge à trois reprises. On trouve aussi des images « non faites de main d’homme » comme le Mandylion (linge) d’Edesse… À Constantinople se sont développées des représentations du Christ, parfois accompagnées de l’empereur qui a eu du mal à renoncer à son statut divin. Esthétiquement, les œuvres sont soumises à des règles strictes, dont les origines sont à la fois grecques et orientales : grecques par l’harmonie et la mesure, orientales par le souci de réalisme et la vue frontale. Dès l’origine les icônes ont été contestées, déclenchant une grave crise au VIIIe siècle et la destruction de la plus grande partie d’entre elles. Au deuxième commandement bien connu des protestants « Tu ne feras point d’images taillées… », les orthodoxes opposent deux arguments. Le premier concerne la mention dans Ex 35-37 d’images que Dieu ordonne de placer dans la partie centrale du Temple, le saint des saints. L’autre argument insiste sur le fait que les apôtres ont vu le Christ et ont pu le décrire ; l’interdit ne peut donc concerner que l’Ancien Testament.

Aujourd’hui la majorité des icônes sont réalisées sur bois, selon des codes précis. Leurs auteurs, pour les orthodoxes, sont des témoins dans l’Église de la splendeur divine et trouvent leur inspiration dans la prière. L’œuvre achevée peut alors être canonisée par l’Église et vénérée par les fidèles mais pas adorée, subtile distinction.

On trouve des icônes dans tout le monde orthodoxe. À Kiev, qui est la ville mère de l’orthodoxie russe, l’enjeu est très important. Pays indépendant mais menacé depuis l’invasion russe, l’Ukraine est évidemment préoccupée par la préservation de son patrimoine religieux.