V.I.T.R.I.O.L est ce terme ancien abrégé utilisé par les alchimistes désignant la doctrine, quelque peu ésotérique, consistant à faire rejaillir une nouvelle personnalité en fouillant ses entrailles. Chercher la petite bête à l’intérieur de soi, trouver des poux sur la tête des autres, voilà l’objectif transpirant de Lui 1 revenant un dimanche soir dans l’appartement de Elle qui s’apprêtait à passer une calme soirée en compagnie de son nouveau conjoint, Lui 2.
Lui 1, c’est Olivier Werner. Très à l’aise sur scène, voire trop, peut-être plus qu’à la maison. Voici le portait : un gosse dans un corps d’homme, il twiste des jambes, délire, se marre tout seul, se confie sans pudeur. Brillant de réalisme, ce n’est même plus du jeu, c’est de l’existence scénique. Il a dans son phrasé comme une ironie, une distance précautionneuse avec l’émotion. On a beau le regarder attentivement, on ne perçoit pas les failles chez l’acteur. D’ailleurs, on ne voit plus l’acteur, mais cet écorché vif, ce drôle inadapté qui court après « les hauteurs, l’amour et les débordements ». Cet intenable à interner, cet imbuvable attachant, ce maniaco-dépressif, j’ajoute hyperactif que l’on ne veut pas rencontrer ailleurs que sur scène tant il nous pompe notre énergie.
Donc, Lui 1 a conservé son emprise sur Elle et Lui 2. A jardin de la scène, il y a cette table pour jouer aux poupées vaudou. Il s’amuse avec eux comme un enfant avec ses playmobils. Je fais trembler la poupée, son corps se met à vibrer. Je la plonge dans les glaçons, il ne sent plus ses jambes. Je la fais voltiger et il s’éclate au sol. Au travers de ce jeu de scène burlesque transparaît cette domination cruelle et sordide, non sans réalité.
Le psychiatrique en musique
Au côtés de ce trio amoureux se présente un tiercé de musiciens qui nous font traverser les époques de la psychanalyse à travers des reprises des tubes hippies comme ceux de Bob Dylan ou de Jimi Hendrix dans une ambiance bohémienne avec comme instruments un violoncelle, une flute traversière et un tambourin. Pierre-Félix Guattari, Gilles Deleuze, Françoise Dolteau, toutes ces personnalités phares de la psychanalyse sont tournées à la dérision dans des entretiens décomplexés, où les mots et les explications finissent par être engloutis dans ce magma musical.
N’y allez pas pour en savoir plus sur la psychiatrie : présenter en une demi-heure les recherches d’un demi-siècle de psychanalyse est bien trop riche pour en tirer une quelconque conclusion de ces échanges prolifiques et interminables.
L’écriture d’Elsa Granat et de Roxane Kasperski a la particularité de lire entre les lignes de nos dialogues quotidiens. Quand la bienséance veut obstruer nos pensées, le texte met en surface ce qui est caché dans nos relations. Les décors sont parfaits pour laisser la liberté aux comédiens de cabrioler sur ces échafaudages en bois et au jeu de prendre son essor. La mise en scène épique et déjantée nous entraîne au rythme des tambourins dans une transe collective de l’esprit. C’est malheureux mais le spectacle Vitriol fête avec joie nos problèmes psychologiques dont les solutions are still Blowin’ in the wind.