Pour évaluer la situation, il faut commencer par prendre un peu de recul et mesurer le chemin parcouru. Nous le ferons à l’aide de deux citations.

En 1928, le pape Pie XI déclarait dans l’encyclique Mortalium animos (les esprits des hommes) : « Le siège apostolique n’a jamais permis à ses fidèles d’assister aux congrès des non-catholiques, l’union des chrétiens ne pouvant être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église de Jésus-Christ qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner. »

En 2013, dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, (la joie de l’Évangile), le pape François déclarait : « Il ne s’agit pas seulement de recevoir les informations sur les autres afin de mieux les connaître, mais de recueillir ce que l’Esprit a semé en eux comme don aussi pour nous. »

On peut se plaindre des lenteurs œcuméniques, mais il faut commencer par rendre grâce pour le chemin parcouru en moins d’un siècle.

Qu’ils soient uns

Le texte biblique le plus souvent évoqué pour parler de l’unité est celui dans lequel Jésus prie pour ses disciples, afin « que tous soient uns. » Le verset dit exactement : « que tous soient uns, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi.[1] » L’unité dont il est question ici peut être entendue comme une unité entre les disciples, mais aussi comme l’unité interne à chacun. Jésus prie pour que ses disciples soient unifiés, qu’ils réalisent l’unité entre leur foi, leur pensée, leurs paroles, leurs désirs et leurs actions. Dans cette perspective, le contraire de l’unité n’est pas la diversité, mais l’éclatement. L’unité commence par un chemin de réconciliation personnelle.

Nous vivons dans un monde agité, nous sommes bousculés entre notre travail, notre famille, nos occupations et nos engagements. Plus nous sommes menacés d’éclatement, plus nous avons besoin de retrouver une cohérence intérieure. C’est l’Esprit, à travers la spiritualité, qui nous donne de creuser le sillon de cette unité.

[1] Jn 17.21.

De l’unité intérieure à celle de l’Église

La quête de l’unité personnelle est le plus court chemin pour atteindre l’unité dans l’Église. Si nous savons être persévérants dans cette marche, et prier pour notre unité intérieure, nous pourrons cheminer vers l’unité avec les autres.

En étant uns en nous-mêmes, nous n’avons pas peur de la diversité. Bibliquement, l’Esprit qui suscite l’unité est aussi celui qui donne naissance à la diversité. Le Père de l’Église Basile de Césarée a écrit : « C’est la même eau fraîche et féconde qui tombe sur le champ afin que fleurissent rouge le coquelicot, rose la rose et bleu le bleuet. » Ce qui a fait dire au théologien protestant Oscar Cullmann que « l’uniformité est un péché contre le Saint-Esprit ». L’unité n’est pas l’uniformité, elle est un chemin de reconnaissance et d’acceptation des différences.

Le père Couturier qui est à l’origine de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens résumait cette prière dans la formule suivante : « Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi afin que, de nos âmes et de nos lèvres, monte incessamment ta prière pour l’unité des chrétiens, telle que tu la veux, par les moyens que tu veux. » Toute la Bible montre que l’unité que veut le Seigneur n’est pas une uniformité, c’est pourquoi elle ne peut passer que pas une reconnaissance des différences et l’accueil de la diversité. Chaque Église est belle de sa couleur singulière, le défi qui nous est adressé est de faire en sorte que les couleurs s’harmonisent et qu’elles ne jurent pas entre elles.

Un exemple d’accueil de la diversité

La première Église a été traversée par une opposition majeure autour de la question de la cohabitation des Juifs avec les non-Juifs souvent appelés les Grecs. Nous pouvons décrire le débat à travers la tension entre deux positions tenues par Jacques, le frère de Jésus qui est devenu le responsable de l’Église de Jérusalem, et Paul qui a été appelé l’apôtre des païens.

La position de Jacques consiste à maintenir la séparation entre les Juifs et les Grecs pour que les premiers ne renient pas leur identité. Paul est pour un dépassement de cette opposition au nom de la conviction que l’identité donnée en Christ par le baptême est plus forte que les oppositions sociales et religieuses[1].

Les deux positions présentent deux compréhensions différentes de l’Église, elles sont plus éloignées que celles des Églises protestantes et catholiques de nos jours. Pour évoquer cette diversité, Paul raconte, dans l’épître aux Galates qu’il y eut un partage dans la mission : « Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main droite à Barnabas  et à moi, en signe de communion : ainsi nous irions vers les païens, et eux vers les circoncis ; nous devions seulement nous souvenir des pauvres, ce que je me suis empressé de faire.[2] »

Jacques et Paul se séparent, car leurs compréhensions sont trop différentes, mais au moment de se quitter, deux précisions sont apportées. « Ils nous donnèrent la main droite en signe de communion. » Donner la main droite, c’est une façon de dire : « J’ai rangé mon épée, je suis désarmé, je te veux du bien. » Pourquoi ne pas y voir aussi un signe de bénédiction ? Ensuite, ajoute Paul, « nous devions nous souvenir des pauvres, ce que je me suis empressé de faire. » On peut avoir des compréhensions différentes de l’Église sans que cela empêche de faire des choses ensemble, notamment s’occuper des pauvres. Nous retrouvons ici un slogan de l’œcuménisme : « Faire ensemble ce que nous ne sommes pas obligés de faire séparément. »

Lorsque le Nouveau Testament parle d’unité, il ne parle pas d’une église monocolore, mais de la façon dont les différentes couleurs vivent en harmonie les unes à côté des autres.

[1] Ga 3.27-28.

[2] Ga 2.9-10.