À la Révolution, les protestants maçons sont omniprésents en politique et dans les Assemblées. Une participation qui perdure depuis.

Héritière de la maçonnerie opérative, qui regroupait les ouvriers sur les innombrables chantiers de bâtisseurs, la franc-maçonnerie « spéculative » est apparue en Angleterre entre 1680 et 1720 dans le sillon tracé par la Révolution scientifique et d’importants changements sociétaux.

La fin des grands chantiers cléricaux apportés par la Réforme avait précipité une transformation de la sociologie des loges en faveur d’érudits favorables à la construction d’édifices intellectuels.

Cette mutation anthropologique s’est révélée être un terrain fertile à la fondation d’une communauté fraternelle et philosophique unie par des notions de tolérance, de fraternité et de raison. Parmi ses principes, la croyance en Dieu et la liberté de religion figurent ainsi en bonne place.

Elle se traduit par la création de la première Grande Loge maçonnique à Londres le 24 juin 1717 qui unit derrière son autorité centrale les différentes loges dispersées dans le pays.

Après avoir connu un premier Grand Maître humble et discret, le gentilhomme Anthony Sayer, la Grande Loge d’Angleterre prend son essor après l’élection comme Grand Maître de Jean-Théophile Désaguliers.

Ce révérend de l’Église d’Angleterre est le fils d’un pasteur huguenot exilé en Angleterre éduqué à Oxford. Spécialiste de physique newtonienne, il contribue à rédiger les nouvelles Constitutions maçonniques auprès de leur auteur principal, le pasteur calviniste James. En tant que Grand Maître, il favorise l’apparition d’une déferlante de membres de la Royal Society et d’aristocrates au sein de la Grande Loge. Ces intellectuels et ces hommes de pouvoir, protestants ou anglicans, fournissent les cadres de la franc-maçonnerie et parachèvent sa mutation vers un modèle intellectuel qui ne conserve des loges corporatistes que leurs rites, leur cadre rituel et leurs symboles.

Introduite en 1725 par des partisans des Stuart émigrés, la franc-maçonnerie se développe rapidement en France pour devenir « la fille aînée de la maçonnerie » en Europe.

Multiconfessionnelles et ouvertes aux membres étrangers, les premières loges se multiplient à Paris et en province. Son rayonnement durant le siècle des Lumières doit beaucoup à l’adhésion aux loges de membres du clergé et d’aristocrates influents. Dès 1740, le pays compte près de 25 loges dont une dizaine rien qu’à Paris.

Un XVIIIe siècle marqué par une forte participation protestante

Au cours de la seconde moitié du 18e siècle, la franc-maçonnerie continue à attirer les esprits éclairés, parmi lesquels de nombreux protestants persécutés. Malgré leur caractère pluri-confessionnel, les protestants français trouvent dans les loges maçonniques un lieu d’urbanité et de réflexion qui ne remet pas en question leur identité et leur foi. Afin de protéger leurs membres issus de la minorité religieuse interdite, les loges françaises omettent de mentionner l’appartenance confessionnelle de leurs membres sur leurs listes.

La forte participation des protestants à la franc-maçonnerie française, avant l’édit de Tolérance de 1787, est illustrée par leur forte proportion dans les loges de Marseille, Bordeaux, Sedan, Strasbourg, Nantes, La Rochelle, Caen. Un engagement qui culmine dans les loges de Nîmes où les protestants sont majoritaires.

Naturellement, cette implication des protestants français se retrouve pendant la Révolution. De nombreux protestants francs-maçons sont élus députés des différentes Assemblées. On comptabilise ainsi :

  • 7 pasteurs francs-maçons (sur 16 pasteurs) à la Constituante
  • 2 pasteurs francs-maçons (sur 15 pasteurs) à la Législative
  • 7 pasteurs francs-maçons (sur 29 pasteurs) à la Convention

Parmi ces députés protestants français, les noms de Boissy d’Anglas et de Marat pour les plus connus d’entre eux, tout comme ceux des pasteurs Antoine Court de Gébelin, Jeanbon Saint-André, Jean-Paul Rabaut-Saint-Étienne ainsi que son frère Rabaut-Pommier.

Après avoir suspendu son activité pendant la Révolution, la franc-maçonnerie reprend du service à partir du Concordat. Elle gagne encore en vigueur avec sa reconnaissance par l’Etat – conjointe avec le protestantisme – lors de la signature des articles organiques de 1802.

Dès lors, le terrain est fertile pour le développement de la franc-maçonnerie chez les protestants. On compte ainsi 3000 protestants maçons sous l’Empire, parmi lesquels des noms célèbres comme Benjamin Constant, Guizot ou François de Jaucourt, pair de France et membre du Consistoire de l’Église Réformée de Paris pendant toute la première moitié du siècle.

Après un léger déclin sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, la franc-maçonnerie retrouve son importance sous l’empire libéral. Elle attire de nombreux protestants, comme Jules Steeg, Eugène Réveillaud ou Henry Pyt, afin de réfléchir sur les problèmes sociaux, la question de l’enseignement et, plus tard, le renforcement de l’État républicain.

Le pasteur Frédéric Desmons, un des chefs de file des protestants libéraux, adhère à une loge en 1861 et, après avoir quitté le pastorat, devient Grand Maître du Grand Orient de France en 1887. C’est à ce remarquable politicien français que l’on doit l’ouverture de loges agnostiques et athées au Grand Orient de France à la suite de la renonciation de l’obligation pour ses membres de croire en Dieu.

Cette évolution anti-religieuse de la maçonnerie a toutefois contribué à inquiéter les protestants de la fin du XIXe siècle qui ont partiellement réduit leur participation.

Les protestants restent aujourd’hui encore très actifs dans la maçonnerie française. La proportion de frères protestants dans les loges demeure supérieure à la part de protestants dans la société française. Cela s’explique en partie par le fait que les zones à forte implantation protestante sont souvent plus ouvertes à la maçonnerie que les régions à forte influence catholique.

Cette ouverture à la maçonnerie n’est toutefois pas partagée par tous les courants des Églises protestantes. Les évangéliques lui manifestent notamment une hostilité plus ou moins vive.