La présidentielle de l’année 2017 aurait-elle marqué l’exception confirmant la règle, un candidat ayant gagné sans le soutien d’une organisation classique? Peut-être… On le dit depuis des lustres : hors des partis politiques, point de salut, nul ne peut prétendre à la fonction présidentielle. Oh bien sûr on affirme aussi que cette élection repose sur la rencontre, au sens presque sacré du terme, entre une personne et le peuple souverain. Xavier Bertrand ne manque jamais de le déclarer. Ce n’est pas ici que nous sous-estimerons le poids symbolique de l’élection présidentielle; mais nous en limiterons l’usage à d’autres méditations :

« le mythe est un système de communication, c’est un message, observait en 1957 le protestant Roland Barthes.

On voit par là que le mythe ne saurait être un objet, un concept ou une idée : c’est un mode de signification, c’est une forme. » On rappellera de surcroît que même le Général de Gaulle avait, en 1958, admis la nécessité de mettre sur pied un parti soutenant le régime qu’il fondait : l’Union pour la Nouvelle République (UNR). Alors ?

Alors, oui, les partis politiques ont mauvaise presse. Même les plus chauds partisans de la République peuvent exprimer des sentiments négatifs à leur endroit. « Je vais vous faire une confidence, je n’aime pas les partis politiques, j’aime les familles politiques, écrit Jacques Julliard dans un texte opportunément réédité («L’esprit du peuple » Bouquins, 1184 p. 32 €). Je n’aime pas les partis politiques, même ceux dont je me sens proche. J’aime les familles politiques, même celles dont je me sens éloigné. »

Chacun devine les raisons de l’impopularité, du discrédit qui s’abattent sur ces structures : leur caractère ontologiquement partisan les font soupçonner de sectarisme, le mot de « militant », qui désigne leurs adhérents, trahit un esprit guerrier, par voie de conséquence le manque de discernement, la mauvaise foi supposés, toutes choses qui cadrent mal avec l’idéal démocratique.

Il nous faut pourtant souligner ce qu’apportent les partis politiques. Dans son manuel intitulé « Sociologie Politique » (LGDJ 688 p. 36 €) l’historien Philippe Braud note ceci : « Comme tout acteur collectif dans la vie publique, les partis acquièrent, en raison des effets de langage, une vie double. D’une part ce sont des réseaux d’individus (dirigeants, militants actifs, simples adhérents) liés entre eux par des rapports d’interaction et disposant, dans ces relations, de ressources inégales. Parallèlement à cette réalité concrète, le parti existe également au niveau symbolique du langage. Le nommer, c’est faire vivre une entité unifiée, réputée cohérente, repérable comme acteur collectif. Les responsables, investis du droit de parler « au nom du parti » lui prêtent ainsi un visage et une voix. Ils le créditent d’une volonté, d’une analyse, de prises de positions. »

Une fonction organique

Nous y voilà. Qu’on les aime ou les déteste, les partis politiques disposent d’une fonction que l’on pourrait qualifier d’organique, essentielle, parce qu’ils fournissent à la fois des éléments pratiques indispensables à la conduite des campagnes électorales et des personnalités capables d’incarner des idées. On objectera qu’en 2017 Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle grâce au soutien d’un mouvement, non d’un parti. Mais c’est oublier qu’il arrive à des femmes ou des hommes politiques d’employer un mot pour un autre, afin de se distinguer, de dénigrer leurs concurrents. S’il avait présenté La République en Marche sous les traits d’un nouveau parti, le ministre de l’Economie du gouvernement Valls aurait-il suscité la même curiosité ? C’est oublier aussi que les élections sénatoriales, municipales et régionales ont montré, depuis 2017, que les partis conservaient une capacité d’entraînement supérieure à la formation se réclamant du Président.
Les joutes actuelles, qu’on les nomme « Primaires » ou «Départage », rappellent donc à chacun qu’il faut encore compter avec les partis, ces vieilles machines à mobiliser les électeurs. On dit même que LRM, le Modem et quelques groupuscules pourraient se rassembler dans une coalition – pas un parti, non…- qui prendrait le nom de « Démocrates ». C’est dire que le naturel de notre vie collective revient au galop.
Soyons honnêtes ; il existe encore des trublions pour jouer leur carte en dehors des sentiers battus. Ceux-là rêvent de rééditer l’épopée du jeune Emmanuel Macron. L’avenir dira bientôt s’ils ont raison. Trouvez-vous cette formulation prudente, un rien frileuse? Eh oui. L’auteur de ces lignes hésite, en l’occurrence, à prendre… parti !