Ils se conjuguent souvent en langue anglaise, histoire oblige : à la suite de la Réforme, au XVIe siècle, le protestantisme est devenu religion majoritaire en Angleterre et au Nouveau Monde (futurs États-Unis et Canada).  Il en est resté quelque chose. D’orientation souvent évangélique, le protestantisme anglophone crève l’écran et rime avec christianisme de masse.

Rien de tel en France ! Après la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), les protestants se sont retrouvés proscrits. Obligés de se cacher. Durant des générations, la discrétion était de mise. Lorsqu’on se réunissait tant bien que mal, les chaires étaient priées d’être portatives, et les Bibles, dissimulables.  On ne s’étonnera pas, du coup, que les grands rassemblements ont longtemps suscité peur ou méfiance.  Dans la très catholique Belgique, la situation n’était guère différente, au contraire d’une Suisse vaudoise et genevoise très protestante. Ce n’est pas un hasard si c’est justement depuis cet espace helvétique qu’au début du XXe siècle, la francophonie protestante européenne (re)prend goût à la visibilité régulière de grandes foules ferventes.

Retour à la visibilité des grands rassemblements

Vecteurs de défragmentation, ces rassemblements francophones ont pris deux formes : une orientation exhortative et mémorielle, au travers des Assemblées du Désert en Cévennes, et une option doctrinale et conversionniste, au travers des conventions revivalistes développées, entre Suisse et France, par le pasteur Ruben Saillens (1855-1942), natif de Saint-Jean-du-Gard.

Les Assemblées du Désert sont bien connues (1), quoiqu’elles mériteraient un grand ouvrage de synthèse. Les conventions revivalistes de Chexbres et Morges (Suisse) le sont moins. Une nouvelle édition bienvenue nous permet aujourd’hui de revisiter ces événements. Publié une première fois en 1947, Ruben et Jeanne Saillens, évangélistes, vient d’être réédité aux éditions Ampelos (2014, 400p).  Signé par Marguerite Wargenau-Saillens, préfacé par Jacques-Emile Blocher, ce livre n’est pas un ouvrage d’histoire académique, mais cela n’enlève rien à son intérêt, son élégance d’écriture ou sa richesse documentaire.

300 tasses de thé en vingt minutes

Des pages 160 à 193, on y apprend beaucoup sur ces fameuses conventions de Réveil en Suisse, qui battent leur plein avant la Première Guerre Mondiale. Que sont ces « conventions », inédites pour l’époque ? Il s’agit de rassemblements interconfessionnels francophones de plusieurs jours (parfois plusieurs semaines), qui combinent enseignement biblique, information sur les missions et appel à la conversion. D’orientation évangélique, axées sur le lien entre orthodoxie biblique et orthopraxie -vie pieuse-, ces conventions ont débuté en 1907 à Chexbres (Canton de Vaud), se relocalisant en 1910 au bord du Léman, à Morges, où elles bénéficient de l’accueil très bienveillant du maire de la ville, M. Fleury.

Elles y attirent des milliers de fidèles venus principalement de Suisse, de France et de Belgique. Des dizaines de pasteurs et missionnaires, essentiellement francophones, se succèdent sur l’estrade, tels Emile Lenoir, Horace Monod, Daniel Lortsch, Albert Nicole, Henri Couvreu… Le pasteur Saillens a été le principal maître d’oeuvre de ces rassemblements, avec l’appui d’une équipe interconfessionnelle vouée à faire valoir le slogan « Jésus-Christ tout entier dans la Bible toute entière ». Les contraintes matérielles sont lourdes. Un « bataillon de jeunes filles venues de Suisse, de France et de Belgique » parvient à servir 300 tasses de thé en 20 minutes (p.179)…

En journée, l’assistance varie entre 100 et 300 personnes. En soirée, elle peut dépasser les 2000, mais les organisateurs veillent à conserver un rapport direct, familier, presqu’intime, avec le public. Daniel Lortsch écrivait ainsi en 1911 : « On est plus de mille, et on a autant d’abandon et de liberté que si on était au coin du feu » (cité p.175).

Trois sillons creusés

Décloisonnant les chapelles protestantes, ces conventions helvétiques méconnues vont nourrir trois sillons : d’une part, une hymnologie francophone renouvelée, en partie composée lors des conventions elles-mêmes. On la retrouve dans les recueils Sur les ailes de la foi. D’autre part, une dynamique de formation des laïcs, qui débouchera notamment, en France, sur la création de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne (1921). Enf ces conventions serviront de modèle pour d’autres manifestations du même type qui fleurissent en France : à Paris d’abord (1910, 1911), à Lézan en Cévennes (1911), Nîmes (1914)… Après la Première Guerre Mondiale, les Brigadiers de la Drôme, mobilisés pour un « réveil » parmi le protestantisme local (2), s’inspireront aussi de ce modèle initié, depuis la Suisse, par un pasteur cévenol.

(1) Patrick Cabanel, « Impensable pèlerinage protestant ? L’Assemblée annuelle du Musée du Désert », Archives de Sciences Sociales des Religions, 2011, pp.149-164.
(2) Voir notamment Jean Cadier, Le matin vient, Paris, Les bergers et les mages éditions, 1990.