La mobilisation des agriculteurs en janvier dernier a remporté l’adhésion de près de 85% des Français. Un soutien qui a fait du bien à cette filière qui s’estime mal-aimée, car parfois taxée de contribuer à la pollution ou au réchauffement climatique. Mais force est de constater que, sans agriculteurs ni éleveurs, nos assiettes risquent de rester désespérément vides.

Producteurs et consommateurs de plus en plus floués

Si cette filière se réforme en permanence, en revoyant ses pratiques, la colère des producteurs se concentre néanmoins sur les industriels de l’agro-alimentaires mais aussi les professionnels de la grande distribution : prix d’achat trop bas, négociations commerciales déséquilibrées, dépendance aux grandes surfaces, normes trop strictes, mise en concurrence avec des producteurs étrangers favorisés par une législation moins contraignante…

Les consommateurs apprécient de moins en moins que ceux qui produisent ne puissent vivre de leur travail, même si, paradoxalement, ils recherchent des prix attractifs. Car l’inflation a changé la donne depuis un an, et forcé les industriels à s’adapter eux aussi, quitte à user de subterfuges. Pour limiter l’impact de la hausse du prix des matières premières sur le produit final, sans rogner sur leurs marges, ils ont développé deux pratiques régulièrement dénoncées par les associations de consommateurs : la shrinkflation et la cheapflation.

Une opacité organisée sur les prix

Vous avez certainement l’habitude de faire vos courses en regardant les étiquettes, car pour certains produits, les prix se sont littéralement envolés. En 2023, 44% des Français ont reconnu avoir dû réduire leurs dépenses alimentaires. Mais pour nous inciter à consommer tout autant, sans alourdir l’addition finale, les industriels ont recours à une astuce peu visible à l’œil nu : la réduction des quantités de produit. Cette inflation masquée – également appelée réduflation ou shrinkflation en anglais – est un piège difficile à déjouer.

Vous prenez cet étui de biscuits familier, mais au lieu de 20 gâteaux, il n’en contient plus que 18. Votre marque de café habituelle a réduit discrètement son paquet de 250 g à 225 g, sans que son format ait toutefois changé. Et ce sachet de corn-flakes est gonflé d’air, et le produit n’en occupe réellement qu’une petite moitié. Le consommateur a la conviction de payer le même prix, alors qu’il a moins de produit, ce qui peut représenter une augmentation déguisée de 5 à 15%. Pour rester un consommateur vigilant, c’est le prix au litre ou au kilo qu’il faudrait surveiller – si toutefois on l’a mémorisé – ou regarder le poids exact de chaque paquet ou sachet que l’on met dans son caddie.

Si le gouvernement a promis de légiférer, et certaines grandes surfaces de pointer ces produits, la responsabilité et la vigilance pèsent encore exclusivement sur l’acheteur final.

Mais ce phénomène, à la limite de la malhonnêteté, est en train d’être rattrapé par un autre : la cheapflation. Cette fois, c’est la qualité des ingrédients qui est affectée. Toujours dans un souci d’économie, les industriels changent les recettes, en supprimant certains produits ou en se tournant vers des ersatzs bas de gamme et surtout moins onéreux. L’intention reste la même : vendre en apparence au même prix, tout en ayant discrètement réduit les coûts de fabrication pour maintenir une marge confortable.

Le sucre est remplacé par un édulcorant, le beurre par de l’huile de palme, le jambon contient davantage d’eau ou la teneur en cacao du chocolat est réduite, au profit du sucre… Cette boîte de ravioli « à la viande » contient à présent du bœuf… et du porc. Ce dessert prétendument lacté renferme tellement peu de lait qu’il ne peut plus prétendre à la dénomination de « yaourt ». Mais il faut décrypter l’étiquette pour s’en rendre compte.

Cette fois, c’est non seulement le goût qui change, mais aussi la qualité nutritionnelle des produits. Avec davantage de sucres ou de gras, c’est également notre santé qui est en jeu.

La cheapflation pourrait à terme être responsable de la progression de l’obésité, notamment pour les familles aux revenus les plus modestes – dans une sorte de double peine. Depuis 2017, le nutriscore est un baromètre figurant sur certains produits, et censé informer sur leur qualité nutritionnelle. Mais cet indice fait lui-même l’objet de fortes controverses, notamment concernant les aliments ultra-transformés.

Pour rester des consommateurs avertis, cela demande une certaine vigilance, et l’appui de sites ou d’applis qui mènent des enquêtes régulières, comme Foodwatch, 60 millions de consommateurs, Yuka, Open food facts, en gardant en tête les recommandations nutritionnelles du ministère de la Santé.