Dans les années 1960, l’arrivée d’un poste de télévision dans un foyer était un véritable évènement. Cet objet encore rare et surtout cher, occupait une place de choix dans le salon d’une famille française. Et c’est autour du téléviseur que tous se réunissaient le soir, pour suivre les actualités, les grands événements sportifs, le couronnement de la Reine d’Angleterre ou le premier homme sur la Lune. Informer, éduquer et divertir semblaient être le credo de ce tout nouveau media qui prétendait remplacer la radio.

Une audience en chute

Aujourd’hui, dans une famille de quatre personnes, chacun regarde désormais ce qui l’intéresse, quand il en a envie, et généralement dans son coin. Qui dans sa chambre, à la cuisine, dans le jardin ou dans son bain… En 2021, si Médiamétrie estimait à 3h41 la durée moyenne d’écoute quotidienne de la télévision (dont 64% pour les trois chaînes historiques), celle-ci n’était que de 1h10 pour les 15-24 ans. Ces chiffres ne cessent de décroître, d’année en année.

Il est loin le temps où trois chaînes concentraient l’intérêt d’un même groupe familial. Dans les années 1980, la quasi-totalité des foyers français possédait un téléviseur et on a vu l’arrivée d’une quatrième chaine – pour la première fois payante – puis l’explosion de l’offre avec les chaînes du câble. Mais, à l’exception de Canal + qui proposait d’entrée de jeu ses films en rediffusion, il s’agissait toujours de regarder la  télévision « en direct », c’est-à-dire à une heure identique pour tous les spectateurs d’un même programme. Une contrainte qui s’ajoutait à la rareté du contenu, qu’il était impossible de revoir une fois qu’il avait été diffusé – à moins de l’avoir enregistré soi-même.

Une offre fortement concurrencée

Les programmes audiovisuels, qu’il s’agisse de films, séries, documentaires, émissions culturelles ou concerts ont désormais des moyens de diffusion variés, à commencer par les plateformes de streaming, comme Netflix, Amazon Prime ou Disney + . Ces plateformes sur abonnement offrent un vaste catalogue où chacun peut choisir ce qui lui plaît le plus, et même bénéficier de films récents sans avoir à se rendre au cinéma. En décorrélant les contenus audiovisuels du facteur temps, les plateformes ont ringardisé la télévision de flux qui piégeait depuis toujours les téléspectateurs dans une contrainte temporelle. En effet, qui n’a jamais ragé en attendant 21h15 pour voir son programme, après s’être vu imposer plusieurs plages de publicité et des mini-émissions ou séries dont il n’a que faire ? Le streaming et la vidéo à la demande ont mis fin à la toute-puissance de la chaine-programmatrice. Aujourd’hui ça n’est plus l’opérateur qui fait le programme, mais le spectateur qui construit son expérience.

Et pour cela, il dispose non seulement de contenus en abondance, qu’il peut suivre sur de nombreux supports (téléviseur, ordinateur, tablette, téléphone) mais aussi d’une offre plus qualitative. Quand TF1 rediffuse pour la énième fois la Grande Vadrouille, Netflix cartonne avec des séries originales et addictives devenues cultes, comme Stranger Things, Chernobyl, Le Jeu de la Dame ou The Walking Deads…

Le téléviseur familial est donc devenu le support de diffusion des contenus que l’on choisit librement parmi ceux des box des opérateurs, des plateformes de streaming, ou même du web par l’intermédiaire de YouTube.

Si les chaînes de flux offrent à présent leurs contenus en différé, il s’agit presque exclusivement de rediffusion. Elles disposent peu de contenus originaux. La tentative de France Télévision, TF1 et M6 de créer leur propre plateforme de streaming – Salto – s’est conclue début 2023 par un échec. Même en proposant dès sa sortie l’intégralité d’une série à binger, les abonnés potentiels ont été plutôt aux abonnés absents.

Valoriser ses spécificités

Alors, la télévision de flux est-elle réservée aux plus seniors d’entre nous, et est-elle au final vouée à disparaître ? Pas vraiment. D’abord, parce que pour l’essentiel, son contenu est gratuit et accessible à tout un chacun, sans aucun abonnement avec la TNT. Ensuite, parce que les chaînes traditionnelles ont encore des temps forts dont elles gardent l’exclusivité, notamment grâce à leur capacité à relater rapidement des événements, et en direct. Le premier de ces temps forts est sans doute l’actualité. Le journal télévisé reste la grand-messe dont peu de téléspectateurs peuvent se passer.

Les chaînes de télévision de flux peuvent mobiliser promptement des moyens pour annoncer les grands faits du monde, couvrir les conflits ou témoigner d’un événement en particulier. Cela leur donne également la capacité de retransmettre des événements sportifs en direct – certains avec un retentissement mondial comme pour le football, le rugby ou les jeux olympiques, mais aussi des débats télévisés ou des événements spéciaux fédérateurs comme les élections, cérémonies, hommages, célébrations, concerts…

Il est peu probable que la télévision de flux parvienne tout à fait à concurrencer sur le contenu les plateformes qui lui ont kidnappé l’audience de la fiction. La qualité de ses contenus, et sa vocation à éduquer, se sont étiolés avec le temps. En revanche, elle réussira toujours à se démarquer sur l’actualité et la sublimation du direct.