L a société occidentale est anxiogène, lit-on régulièrement dans les éditoriaux de nos journaux. Le chômage, le terrorisme, la crise écologique : autant de sujets qui poussent à avoir peur de demain et d’aujourd’hui : de l’inconnu qui passe, de l’étranger qui vient et même du collègue qu’on croise tous les jours sur son lieu de travail. La peur amène à voir en chacun un potentiel concurrent, un possible adversaire, un éventuel ennemi…

Elle conduit bien souvent à ne pas tendre la main, à ne pas initier, ne pas vouloir la relation. La peur crée le repli sur soi. Martin Luther, qui a initié le mouvement de la Réforme, concevait un tel repli, un tel recroquevillement sur soi comme la définition de l’homme pécheur.

La peur est plus rationnelle qu’on ne le prétend. Elle s’enracine dans cette difficulté que nous avons tous à gérer nos limites et nos fragilités. Certains les refusent, et notamment les deux plus fondamentales : celle de la maîtrise et celle de la mort. Ceux-là refusent d’accepter que les choses, les événements et les hommes échappent à leur contrôle. Ils voudraient pouvoir tout maîtriser, que le monde s’organise autour de leur seule volonté. Rêve d’un pouvoir divin… Ceux-là refusent également que la vie puisse avoir une fin. Ils rêvent d’éternité divine… Ces limites majeures connaissent, comme en musique, des accords « mineurs ». Pour l’une, c’est le refus d’accepter l’interdépendance, l’impossibilité de s’abandonner à quelqu’un, de faire confiance, tout simplement. Pour l’autre, c’est le refus de reconnaître et d’accepter ses faiblesses, ses défauts, toutes ces imperfections qui font qu’un homme n’est qu’un homme.

Mais sans être totalement dé- pourvu de ces traits, la plupart des hommes ont du mal à gérer les limites humaines. Ils sont écrasés par leurs faiblesses, recroquevillés sur leur sentiment d’échec incessant, enfermés dans leur culpabilité. Leurs fragilités les enfoncent dans un manque cruel de confiance en soi.

Au croisement de plusieurs regards

Celui-ci agit comme un prisme déformant le regard qu’ils portent sur les autres, sur eux-mêmes et sur le monde. Le récit de Nombres 13 évoque un tel regard. Moïse envoie des espions en terre promise, là où coulent « le lait et le miel ». Quand ils reviennent, ils racontent ce qu’ils ont vu : les habitants seraient des géants ; à leurs côtés, les Israélites se voyaient comme de pauvres sauterelles : des insectes qu’on écrase !

Mais, nous nous trouvons au croisement de plusieurs regards : celui des autres, le nôtre et… celui de Dieu. Si les deux premiers peuvent nous enfermer dans une peur paralysante, le dernier vient nous libérer. Dieu nous regarde et nous accepte : comme nous sommes et malgré ce que nous sommes. Ce regard que pose Dieu sur chacun de nous nous permet d’accepter nos limites et nos fragilités, nos peurs et nos angoisses. Reste, comme le disait Paul Tillich, un théologien allemand du 20e siècle, à « accepter d’être accepté », sans mérites, sans conditions et en dépit du fait qu’on se sente « inacceptable ». Ou qu’on nous ait fait croire à une telle ineptie… La confiance reçue nous libèrera non seulement de la peur mais aussi de notre difficulté à faire confiance. Et, en sus, nous vivrons de la confiance : celle de Dieu et celle que nous pourrons donner aux autres.