Le regard de l’Église sur le cinéma a considérablement évolué en quelques années. Le phénomène Godlywood relate la rencontre entre ces deux géants du « soft power » ; une histoire d’amour et de conflit, d’argent et d’influence. Un documentaire à voir à partir de ce vendredi 20 décembre 2024 sur arte.tv et YouTube.
Depuis le tournant du XXIe siècle, le très libéral Hollywood a enfanté un phénomène parallèle, d’abord marginal, mais qui prend peu à peu de l’ampleur : les « faith-based movies », productions pensées pour le public chrétien, véritables « tracts évangéliques » rentables malgré leur petit budget. Un documentaire en immersion pour décrypter un phénomène en pleine expansion.
Pour retracer l’histoire de ce courant made in Hollywood, les réalisateurs Darius Kaufmann et Eytan Jan sont allé à la rencontre de ses acteurs. Ils répondent ici à mes questions.
Qu’est ce qui a motivé votre enquête ?
Suite à notre premier long métrage documentaire À la chaleur des années froides (Ciné+ OCS) sur l’âge d’or du cinéma cubain, nous avons été approchés par la productrice Déborah Da Silva qui élaborait un projet avec Arte sur la base du travail de l’enseignante chercheuse Nathalie Dupont (Godlywood et le fait religieux). Nous sommes un duo de réalisateurs passionnés par le cinéma, tant pour l’Art que par l’outil de masse qu’il représente, et nous avons trouvé ce sujet fascinant ! Un an plus tard, nous voici avec le film disponible sur la plateforme Arte.tv.
Quel regard personnel portez-vous, après cette enquête, sur cette industrie chrétienne cinématographique ?
Il a été difficile d’exprimer en 53 minutes l’amplitude de notre regard. C’est un exercice particulier quel que soit le sujet. Ici le cinéma s’entremêle avec le religieux, vous imaginez la complexité. Comme le disent très bien les sociologues, historiens, théologiens comme Sébastien Fath ou encore Philippe Gonzalez, le christianisme est riche d’une grande diversité, c’est une véritable constellation et c’est aussi avec ce bagage que nous avons dû synthétiser l’industrie du cinéma chrétien aux États-Unis. Nous avons procédé à un « casting » important qui nous a permis de faire la rencontre de James Duke, un pasteur et grand cinéphile qui a été un véritable guide pour nous. Sa légitimité en tant que chrétien et professionnel du cinéma nous a permis d’être à l’aise avec l’envergure du sujet et sa critique. Sa parole reflète parfaitement notre regard.
J’imagine que vous avez visionné vous même pas mal de ces films ? Qu’est-ce que vous en avez retiré ?
En effet, ce genre cinématographique possède déjà un catalogue assez riche dans des styles bien différents. Cela a représenté quelques dizaines d’heure dans nos recherches. Du film bien-pensant, un peu ringard (comme l’évoque Duke), au film de propagande carrément manipulateur nous avons souvent été choqués, parfois intéressés, par moments amusés. Intéressés par le côté spirituel que l’on retrouve souvent au cœur de ces films et qui est très rarement représenté dans le cinéma Hollywoodien d’aujourd’hui. Amusés par la qualité parfois désirable des dialogues ou des effets spéciaux « low budget ». Choqués par des propos extrêmes, virulents et simplistes envers la communauté musulmane ou laïc par exemple. Comme le dis James Duke : « ces films peuvent parfois éloigner les gens du message de Dieu ».
Est-ce ce que les rencontres ont été faciles ou y a-t-il eu des obstacles dans votre démarche ?
Nous avons eu un accueil de grande qualité auprès de certaines figures et spécialistes du protestantisme en France et nous les en remercions car ce dialogue nous a permis de mieux connaître et anticiper « leurs cousins d’Amérique ». Des cousins d’une grande franchise mais avec un versant extrême parfois différent des mouvements en France. Aux Etats-Unis, il a été plus compliqué d’obtenir la confiance et de faire comprendre la nécessité de ce film… mais à force de volonté, une fois le dialogue installé, tout a été possible. Notamment grâce à la famille Covell du Hollywood Prayer Network et le professeur Terry Lindvall.
La prière est très présente dans votre film avec, notamment, cet événement près-cérémonie des Oscars, mais aussi, et plus étonnamment, avec des interviewés qui commencent leur entretien en priant.
Nous avons pu constater à quel point la prière était omniprésente dans la vie comme dans le travail de nos intervenants. Il nous semblait donc juste de ne pas la sous représenter dans notre film. En effet, durant chaque interview, Dieu, Jésus et le Saint-Esprit s’invitaient au débat. C’est assez naturellement que ce dialogue devait s’illustrer, ces prières ont donc pris place dans le processus de tournage. Parfois nous invitions en fin d’interview nos intervenants à prier (thématique libre), parfois ils nous prenaient de cours souhaitant prier avant toute chose. Nous souhaitions également montrer les prières publiques, comme celles de la cérémonie des Oscars, un moment très impressionnant, toléré par les autorités américaines.
Quelle interprétation avoir face à cette prière omniprésente ?
Nous avons une différence et une richesse d’opinion dans notre duo de réalisateur, il en va de même pour les spectateurs. À chaque spectateur son interprétation et tant mieux si cela fait débat ! Notre objectif était surtout de ne pas invisibiliser cette pratique essentielle dans une vie chrétienne.
Pourquoi avoir fait le choix de laisser ces prières et même avoir choisi de commencer par ça ?
Dans l’expérience de vie des interviewés, la prière est un point de départ pour beaucoup de choses, si ce n’est toutes les choses. Il s’avère qu’ils ont prié pour le film, son bon déroulement, sa production etc. Spontanément, elles ont pris place au début. C’est aussi une manière d’annoncer le sujet, la relation entre l’Église et le cinéma, de manière moins didactique.
Pour vous, puisque nous sommes là dans l’univers cinéma, qu’est-ce qui fait un bon film ?
En tant que réalisateurs, un bon film est un film qui vous est indispensable et pour lequel vous êtes prêt à vous abandonner entièrement. C’est un sentiment unique. En tant que spectateurs, c’est très subjectifs ! À tout le monde ses critères mais nous espérons combler vos attentes avec ce film.