Tout commence dans la saison 1, en établissant clairement que tout n’est pas paisible au Calvaire et dans la famille Greenleaf. Grace, qui a coupé les liens avec sa famille et qui est maintenant journaliste, revient après le décès de sa sœur Faith (qui se serait noyée dans le lac sur le domaine familial). Jouée par la merveilleuse Merle Dandridge (The Night Shift) dans son premier rôle principal, Grace commence à fouiner autour de la mort de sa sœur. Elle et sa tante Mavis (jouée par Winfrey), la sœur de Lady Mae, propriétaire d’un bar sur Beale Street, croient que Faith s’est suicidée après des années de violence sexuelle par son oncle Mac. De plus, Mavis croit que Mac a violé d’autres filles dans l’Église. Mais ce n’est qu’un des secrets de la famille… Il y a aussi l’infidélité et la mauvaise gestion financière. Et surtout, tout cela n’est que le tout début d’une histoire qui s’avère bien plus complexe, plus l’intrigue se dévoile.

Greenleaf ne manque donc certainement pas de moments délicieux avec cette capacité à s’attaquer à tout ce qui peut quasiment s’imaginer dans le contexte si particulier d’une mégachurch noire américaine. De l’évidente thématique de cette fumeuse (et surtout dramatique) théologie appelée « évangile de la prospérité » à l’inceste, en passant par la mort, l’adultère, la cupidité, le mensonge, la mauvaise foi, la jalousie, la trahison et tout ce qu’engendre le Mal… tout y passe et il ne fait pas bon finalement envisager un instant la vie de paradis quand on pénètre dans l’univers de cette puissante et prospère Église du Calvaire et des Greenleaf, sa famille pastorale, tout particulièrement. D’ailleurs c’est sans doute l’excès qui peut déranger ou rendre le tout parfois trop caricatural. Par voie de conséquence, ce choix rend certaines situations risibles et transforme le drame en joyeuse comédie.

Bishop James et Lady Mae Greenleaf dirigent leurs ministères mondiaux de la Calvary Fellowship, comme les chefs d’une puissante famille dirigeante (parfois de façon pas éloignée de The Irishman de Scorcese pour rester dans la Netflix Family). Du moins au début car, saisons après saisons, les choses se compliquent sérieusement et le royaume se transforme en un branlant château de carte fortement malmené… On peut noter là, le duo magnifique qui est à la base structurelle de la série. Lynn Whitfield joue admirablement la matriarche Lady Mae telle une vraie Lady Macbeth. Elle est de plus parfaitement associée à Keith David qui, en tant que patriarche de la famille, est l’un des personnages marquants de la série. Son talent lui permet d’être assez convainquant et charismatique pour égaler un vrai prédicateur en chaire mais aussi assez juste pour laisser paraître l’homme sous la robe pastorale. 

Les bras de l’humanité, comme l’a écrit un jour le poète James Weldon Johnson, étant trop courts pour boxer avec Dieu, nous pouvons comprendre pourquoi les batailles humaines (elles possibles) en particulier lorsqu’il s’agit de joutes familiales entre enfants, nous ont fascinés dès le commencement de l’époque biblique, depuis Caïn et Abel. Il est donc logique que Greenleaf se concentre autant sur les relations complexes entre sœurs et frères. Craig Wright (Six Feet Under et Dirty Sexy Money), dramaturge et scénariste de télévision chevronné, est passé maître dans l’art de capturer ces situation au sein des familles, et il s’en donne donc ici à cœur joie. Mais, vous ne le saviez peut-être pas, son pédigrée en tant qu’ancien prédicateur lui permet, en plus, de montrer le meilleur et le pire du christianisme sans porter de jugement sur la foi elle-même.

On pourra bien sûr esquisser un sourire sur le fait qu’Oprah Winfrey raconte avoir appelé Bishop T.D. Jakes, pasteur principal de The Potter’s House à Dallas, Texas, pour lui assurer que sa série n’était pas basée sur lui, son Église ou toute autre mégachurch américaine… « J’ai parlé à T.D. Jakes et je lui ai dit : « Je veux juste que vous sachiez que je fais un spectacle sur une mégachurch mais que la seule ressemblance avec vous est que notre personnage principal s’appelle Bishop et que vous êtes un évêque » ». » Et il lui aurait répondu : « Je suis heureux d’entendre cela parce que j’ai entendu des choses à ce sujet… »  La star des médias a ajouté : « Je veux juste que vous sachiez, de mes lèvres à vos oreilles, que je n’ai rien d’autre qu’un profond respect pour l’Église. Moi, Oprah Winfrey, je ne ferai jamais rien qui manque de respect à l’Église ». 

Et c’est peut-être pourquoi, il faut maintenant aussi préciser que, dans Greenleaf, les personnages sont le plus souvent à la fois des chrétiens sincères, engagés dans le ministère, attachés à la foi, et des êtres humains terriblement imparfaits qui pêchent effrontément, pour leur plus grand malheur finalement. Ainsi la série a cette spécificité au milieu de ce qui pourrait paraître abjecte dans le contexte d’une Église, de présenter une vraie générosité et des nuances. Même si les dirigeants de l’Église sombrent désespérément dans les méandres du mal, ces mêmes personnages croient vraiment, et l’Esprit les émeut d’ailleurs très souvent. Wright et Oprah les voient tout autant comme des chrétiens sincères, que des êtres humains à la recherche de leur propre intérêt, manipulateurs et honteux. On s’attache ainsi très vite à certains d’entre eux et il serait intéressant de sonder les spectateurs, pour connaitre ceux qu’ils préfèrent et pourquoi, pour en tirer certaines leçons vraisemblablement. 

En fin de compte, et au risque de vous surprendre, malgré tous les drames, toutes les manigances sournoises et tous les désagréments, c’est une série qui pour moi aime et respecte l’Église. Elle reconnaît toujours l’importance des individus et l’histoire derrière les gens et les traditions qui se trouvent dans cette institution. Quand on demande ainsi à la fille de la pasteur Grace pourquoi elle veut continuer à aller à l’Église et à s’associer avec des gens qui traitent sa mère si durement, elle a une réponse révélatrice : « Oui, il y a des hypocrites dit-elle, mais il ne s’agit pas que de ça, il y a plus… ». Les Églises ne sont pas des musées de la perfection ; ce sont aussi des hôpitaux pour les malades spirituels que nous sommes, et comme le disait un vieux prédicateur : « Si vous trouvez une Église parfaite, ne la rejoignez pas. Elle cessera d’être parfaite dès que vous en franchirez la porte ». Greenleaf ne cache carrément pas les imperfections d’une certaine forme de communautés protestantes évangéliques (toute heureusement ne sont pas de la sorte !…) mais, elle n’est pas non plus totalement cynique quant au bien que l’on peut trouver entre ces quatre murs.

Enfin, le succès de Greenleaf repose, sans nul doute, sur la puissance addictive du scénario. Multitude de cliffhangers (une technique qui consiste à terminer l’épisode ou la saison par une fin ouverte, au moment où le suspens est à son comble), personnages clés attachants ou repoussants et musique gospel apportant un rythme et une ambiance chaleureuse, sont là pour nous accrocher et nous donner, épisodes après épisodes, saisons après saisons, de revenir inlassablement et d’entendre proclamer à qui veut l’entendre : Dieu est bon… en tout temps !