L’histoire mages est bien connue. L’iconographie décrit la marche de trois rois chevauchant leurs chameaux à la suite d’une étoile qui les conduit à la crèche. Une lecture attentive du texte biblique modifie cette vision. Les mages sont des savants plus que des magiciens, ils ne sont pas rois, le texte ne parle pas de chameaux, leur nombre n’est pas précisé, et quant à l’étoile, ils ne l’ont suivie que sur une dizaine de kilomètres alors que leur voyage a duré plusieurs mois.
Reprenons le récit de l’évangile. Ces mages sont des savants, astronomes et astrologues, qui viennent de l’Orient, probablement la région de Babylone. Dans leur observation du ciel, ils ont une révélation : le roi des Juifs vient de naître. Ils se mettent en route pour lui rendre hommage et tout naturellement, ils se dirigent vers la capitale des Juifs : Jérusalem.
Arrivés en ville, ils questionnent pour savoir où est le roi qui vient de naître ? Ils le font avec suffisamment d’insistance pour que la rumeur remonte jusqu’au roi Hérode qui est troublé. Après s’être renseigné auprès des spécialistes religieux sur l’endroit où devrait naître le messie, Hérode convoque les mages, les envoie à Bethléem et leur demande d’enquêter pour son compte sur ce futur roi afin, dit-il, de pouvoir à son tour lui rendre hommage.
Les mages quittent Jérusalem, et ce n’est qu’à partir de là que l’étoile qu’ils avaient vue naître à Babylone les conduit jusqu’au lieu où est né Jésus. Ils se prosternent devant l’enfant et Marie et leur offrent en cadeau de l’or de l’encens et de la myrrhe, puis ils rentrent chez eux en se gardant bien d’aller rendre compte à Hérode de ce qu’ils ont vu.
Théologiquement, Matthieu a raconté cet épisode pour souligner le caractère universel de la révélation christique. Par leur attitude, ces savants étrangers soulignent trois points qui peuvent nourrir notre propre démarche spirituelle : la quête, l’adoration et la désobéissance.
La quête
Les mages sont des hommes curieux. Qu’ont-ils vu dans leur observation du ciel ? L’histoire ne le dit pas. Le mérite de ces hommes n’est pas d’avoir observé une étoile – c’était leur métier – mais de s’être mis en route, au nom de ce qu’ils ont vu dans le ciel.
Ils nous rappellent que la curiosité est une vertu spirituelle. Le drame qui sclérose toute démarche spirituelle est le sentiment d’être arrivé, qu’il n’y a plus rien à attendre. C’est la dérive du sceptique qui estime qu’il n’y a rien à chercher parce qu’il n’y a rien à trouver, et celle du dogmatique qui estime qu’il n’y a rien à chercher parce qu’il a tout trouvé.
Dans les paraboles du royaume, deux petites illustrations sont en résonance avec cette quête : « Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché… le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles . » Le royaume n’est pas que le trésor, il est aussi le marchand qui cherche des perles ; il est le terme et il est le chemin ; il est l’objectif et il est la quête.
L’adoration
Charles Péguy a écrit que « tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d’un homme libre. » Les mages sont des hommes libres, ils le montreront en désobéissant à Hérode qui leur a demandé de lui indiquer où se trouvait l’enfant. C’est en tant qu’hommes libres et droits qu’ils se sont agenouillés devant l’enfant.
Après s’être prosternés, ils ont offert les cadeaux qu’ils avaient apportés pour saluer la naissance du roi des Juifs. L’image est insolite, car la demeure où se trouve l’enfant ne ressemble pas à la maison d’un roi, mais les mages savent voir au-delà de l’apparence. Ils voient ce que peu d’hommes ont vu, la promesse d’un roi sous les traits d’un nourrisson qui est né dans la modeste demeure d’un couple ordinaire.
Les mages nous conduisent à nous interroger sur notre propre gratitude. Paul a écrit dans l’épître aux Corinthiens : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi fais-tu le fier, comme si tu ne l’avais pas reçu ? » Celui qui n’est pas reconnaissant est celui qui pense qu’il ne doit rien à personne. Mais celui-là est amnésique, car il pourrait au moins être reconnaissant pour ses parents, ses gènes, la nature ou les circonstances qui lui ont permis d’être ce qu’il est.
La désobéissance
Hérode avait dit aux mages : « Quand vous aurez trouvé le petit-enfant ; faites-le-moi savoir, afin que j’aille moi aussi l’adorer. » La fin du récit révèle un autre scénario : « Divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin[1]. »
Dans les premières Déclarations des droits de l’homme (américaine en 1776 et française en 1789), figure à côté des droits à la sûreté, à la liberté, à l’égalité et à la propriété, le devoir de résistance à l’oppression. Il existe des lois injustes qui vont à l’encontre de la morale universelle. Dans ces cas, la désobéissance n’est pas qu’un droit, elle est un devoir. La désobéissance a souvent un prix, mais il n’y a que les esclaves qui disent toujours oui.
Qu’est-ce qui a conduit les mages à bien se comporter ? Nous pouvons voir un rapport entre leur désobéissance et leur adoration. En s’inclinant devant l’enfant de la crèche, les mages ont confessé qu’il existait quelque chose de plus grand que leur savoir, même si ce quelque chose était, à ce moment, aussi fragile qu’un nourrisson. C’est au nom de ce principe supérieur qu’ils ont résisté aux ordres du tyran.
Parce qu’ils ont plié les genoux devant l’enfant, ils ne se sont pas inclinés devant les grands.
Parce qu’ils ont suivi les chemins de Dieu, ils n’ont pas eu peur de désobéir au roi.
Parce qu’ils ont tout déposé à la crèche, ils ont pu écouter leur conscience.
[1] Mt 2.8,12.