Par Anne-Marie Guillemard, professeur émérite des universités, Université de Paris

Il s’exprime par des pratiques discriminatoires à l’encontre des travailleurs seniors, en raison de leur âge, dans tous les domaines de la gestion des ressources humaines, depuis la sortie précoce du marché du travail, jusqu’au recrutement et à l’accès à la formation continue.

Un premier indicateur global des attitudes discriminatoires à l’encontre des seniors se trouve dans le taux d’emploi des plus de 55 ans. Si celui des 55-59 ans a rejoint le niveau européen avec 72 %, celui des 60-64 ans est demeuré à 32 %, plaçant la France en queue de peloton des pays de l’OCDE (51 % en moyenne). Ces chiffres mettent en évidence la difficulté de se maintenir en emploi au-delà de 60 ans en France et la forte tentation des employeurs de recourir aux départs anticipés.

Ce constat est confirmé par le regain de pratiques discriminatoires en lien avec l’âge qui a été observé lors de la crise sanitaire. Confrontées au ralentissement de l’activité et aux incertitudes de la reprise, nombre d’entreprises ont fait des seniors la principale variable d’ajustement de leurs effectifs et ont mis en œuvre des plans de départ volontaire ou de ruptures conventionnelles, les ciblant. Ainsi, les plus de 50 ans enregistrés à Pôle Emploi représentaient les deux tiers du volume des ruptures de contrat en 2020.

Le retour en force des mesures d’âge avec la pandémie reflète bien les stéréotypes négatifs qui frappent les travailleurs âgés, d’emblée perçus comme une charge : ils seraient réticents au changement, auraient des compétences obsolètes et pèseraient sur la compétitivité de l’entreprise par leur coût et leur moindre productivité.

Ces représentations témoignent de la prégnance de la « culture de la sortie précoce du marché du travail » propre à la France, signalée dans nos travaux comparatifs depuis 2003.

Cette interprétation est confortée par les résultats d’une enquête portant sur les motifs des salariés en cas de rupture conventionnelle. Pour les seniors, la première raison avancée est l’absence de choix (26 contre 14 pour les autres groupes d’âge signataires). La moitié des seniors considèrent qu’en l’absence de rupture conventionnelle, ils n’auraient pas démissionné.

Un autre indicateur du caractère largement forcé de ces sorties précoces est la montée du risque de précarité et de pauvreté en fin de carrière. Ainsi à 60 ans, 29 % des personnes ne sont « ni en emploi, ni en retraite » et un tiers d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté ou bénéficient de minima sociaux. Le chômage des seniors est un chômage de longue durée et le retour à l’emploi peu fréquent.

L’âgisme au travail se manifeste également dans la gestion des parcours professionnels en seconde partie de carrière. L’attention à un aménagement plus attractif de fin de carrière est peu attestée. Nombreux sont les DRH qui hésitent à promouvoir ou à former leurs collaborateurs dès l’âge de 45 ans. Résultat, le temps passé en formation continue des plus de 50 ans est deux fois plus court que celui des autres groupes d’âge.

Mettre fin à l’âgisme au travail devient indispensable avec l’allongement de la vie et le vieillissement des populations. Il implique d’en finir avec la gestion par l’âge pour lui substituer une gestion préventive des parcours professionnels pour tous les âges.

Il suppose également de développer un management intergénérationnel apte à majorer la coopération des âges au travail et la transmission croisée des compétences au bénéfice de l’individu comme de l’organisation.