Les protestants français entretiennent un rapport compliqué à l’évangélisation. Ils ont longtemps été marqués par le « complexe du morisque ». Comme ces derniers, obligés de cacher leur foi dans l’Espagne de la reconquête catholique, les huguenots devaient faire profil bas, sous peine de persécution. Lors de leur réintégration dans la nation au XIXe siècle, il en est resté quelque chose. L’habitude d’une certaine discrétion. Une forme de sobriété. Ne pas faire trop de vagues ! Le Réveil a pourtant stimulé l’évangélisation, via de nouvelles sociétés missionnaires, et les protestants français ont réappris l’audace. Mais une première moitié de XXe siècle marquée par deux guerres mondiales et une réunification réformée délicate (1938) ont douché à nouveau les espoirs d’une évangélisation tous azimuts.

Dans les années 1940 et 1950, le monde réformé français, navire amiral du protestantisme national, se détache de plus en plus d’une évangélisation jugée intempestive, décalée par rapport aux exigences du monde moderne. On tourne peu à peu le dos à l’héritage de la Société centrale d’évangélisation, qui avait longtemps porté les projets d’implantations de paroisses nouvelles. L’heure est aux théologies du monde.

Un défi de taille

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le coup de tonnerre qu’a représenté l’irruption, en France, de Billy Graham. Venu dès 1946, puis en 1954, il crève l’écran en 1955, lorsqu’il anime des soirées d’évangélisation de masse à Paris au Vélodrome d’Hiver. Rebelote ensuite en 1963 (Paris et métropoles provinciales), puis en 1986 à Bercy (voir encadré). Star américaine hors catégorie du christianisme Born Again, Billy Graham aurait pu éviter le pays de Voltaire, tout comme il a évité l’Espagne. Mais c’est à la demande de nombreux pasteurs français de toutes dénominations, dans le cadre de l’Alliance Evangélique (qui comptait aussi des réformés), qu’il s’est décidé à secouer les habitudes d’un pays sécularisé, laïque, à très grande majorité catholique. Un défi de taille ! Car Billy a tout d’une erreur de casting. Le climat est à la méfiance, l’évangélisation pugnace et directe passe mal. Beaucoup de protestants froncent les sourcils. La guerre froide nourrit par ailleurs certains relents d’antiaméricanisme…. et le jeune Graham et son […]