Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, les analyses se focalisaient sur le côté « terrorisme islamique » de la tuerie. Mais j’ai rapidement formulé une autre hypothèse : l’influence des jeux vidéo sur le passage à l’acte des garçons issus de milieux immigrés pauvres, qui passent leur temps devant des écrans et n’ont guère les moyens d’avoir d’autres loisirs.

Après le Bataclan, je me suis plongée dans le détail de ces jeux, d’une violence inouïe, dont nos enfants sont les héros, ces gangsters sans foi ni loi qui ne respectent rien ni personne… À cette époque, mon fils ado était fan, comme des millions d’autres, de ces jeux extrêmement violents, où les garçons – principaux usagers – tuent, pour le plaisir, des milliers d’ennemis. Je me suis demandé comment, si on banalise la violence et les tueries dans les jeux, on peut être sûr qu’il n’y aura pas de passage à l’acte. À l’image des films interdits aux moins de dix-huit ans, certains jeux vidéo qui réveillent les pires instincts humains devraient être interdits au moins de douze ans1. 

On fait de nous des voyeurs

La même violence se banalise au cinéma et à la télévision. Quand ma grand-mère Salma séjournait chez nous, elle s’horrifiait devant les films policiers à la télévision : « Mais on leur apprend à tuer ! » Je crois que le cinéma est né pour faire rire, rêver ou réfléchir. À la télévision, les séries policières, le plus souvent exportées par les USA ou copiées de modèles américains, règnent aujourd’hui en maîtresses. C’est le diktat de l’audimat, le triomphe de la violence et du sexe qui font vendre ! Et il y a surenchère : chaque film ou jeu vidéo doit en faire encore plus que le précédent.

On nous place dans une position de voyeurs, de complices de cette violence. Exactement comme le fait l’industrie pornographique. La violence trash s’est installée dans la littérature, les polars à succès, et au cinéma où elle est primée à Cannes et encensée par les critiques. Sous couvert de « dénoncer », nombre de films ne sont qu’un prétexte pour exhiber une violence extrême à l’écran, comme Django Unchained ou Parasite2.

Notre société est violente

La violence est un instinct intrinsèque à l’homme, héritée de nos gènes à une période où il fallait se battre pour se nourrir et se défendre. Nos ancêtres étaient paysans, ils travaillaient dur et se dépensaient dans les champs ; ils chassaient aussi. Il est désormais politiquement correct d’être contre la chasse, et je l’ai longtemps été. Jusqu’à ce que je découvre qu’elle est nécessaire au regard du taux de reproduction des bêtes sauvages. La chasse est une activité collective, elle crée du lien social, inculque le respect de règles3. N’est-il pas plus sain d’accompagner son père à la chasse que de tuer des milliers de personnes sur un jeu vidéo ?

La société capitaliste dans laquelle nous vivons est violente. L’individualisme y règne, le « marche ou crève », le chacun pour soi. Les rythmes de vie qu’elle nous impose sont une violence, la laideur urbaine est une violence, le stress des grandes villes est une violence, la frontière poreuse entre vie privée et vie publique est une violence… D’où ces injonctions qui se sont multipliées, depuis la fin du XXe siècle, de vivre zen, faire du calme en soi, méditer, observer des pauses, etc. L’extrême violence de nos modes de vie crée forcément son contraire : le besoin de paix et de sérénité…

Par Nadia Khouri-Dagher, reporter franco-libanaise, ancienne chercheuse en sciences sociales et spécialiste de l’interculturalité4

1 L’actuel logo PEGI, géré en grande partie par les éditeurs eux-mêmes, n’est qu’une recommandation : elle n’impose aucune contrainte au consommateur.
2 Django Unchained est un film de Quentin Tarantino (2012) qui traite de l’esclavage et Parasite a été réalisé par Bong Joon Ho, il aborde la question de la polarisation sociale (2019).
3 Nadia Khouri-Dagher, Dans nos campagnes, Au cœur du monde, 2021.
4 khouridagher.afrikblog.com