Marguerite (Ella Rumpf) est une brillante mathématicienne qui étudie à l’École Normale Supérieure. Dans la première scène, au cours d’une brève interview, nous apprenons qu’elle n’a pas d’autre vie que les mathématiques, ses seuls passe-temps étant la marche et « jouer au Yahtzee avec sa mère ». Elle travaille actuellement avec bonheur sur un théorème très complexe avec son professeur Laurent Werner (Jean-Pierre Darroussin), qui commence à manifester des velléités d’éloignement de son élève, en intégrant Lucas (Julien Frison), un autre élève brillant, dans l’équipe. Une erreur suffit à faire voler en éclats les trois années de travail de Marguerite, qui décide de démissionner et de reprendre une vie « normale », après avoir perdu confiance en elle et compris que son mentor veut lui faire perdre son emploi. Elle rencontre Noa (Sonia Bonny Eboumbou), une danseuse qui l’aide à se socialiser et à explorer de nouvelles facettes d’elle-même.

Pas besoin d’être doué en maths pour aimer ce théorème

La conjecture de Goldbach est l’un des problèmes non résolus les plus célèbres du monde des mathématiques. La théorie numérique est une prouesse qui continue d’intriguer les esprits les plus brillants de l’humanité. Le Théorème de Marguerite, de la réalisatrice franco-suédoise Anna Novion, qui signe là son troisième long métrage, après Les grandes personnes en 2007 et Rendez-vous à Kiruna en 2013, se penche sur ce dilemme et se demande si la recherche de solutions aussi improbables est une ambition louable ou une quête inlassablement douloureuse. Présenté de la sorte, à moins d’être soi-même un matheux convaincu, l’envie qui vous pousse dans une salle obscure ne sera pas forcément au rendez-vous… Mais, pourtant, c’est tout l’inverse de ce que l’on imagine. Alors oui les grands tableaux noirs qui se remplissent à la craie blanche et qui envahissent jusqu’au moindre recoin d’un petit appartement parisien, sont bien là. Mais au-delà des maths c’est Marguerite qui remplit littéralement l’écran. Jeune prodige, insécure, fragile et maladroite dans ses relations humaines, elle est telle la fleur éponyme face au risque de faner et mourir ou de s’ouvrir à un soleil qui n’attends que de lui offrir ses rayons de vie et laisser alors son doux parfum et sa beauté produire ses effets sur ceux qui la voient et s’en approche. Mais sacré défi… surtout quand la blessure d’un abandon paternel reste durement enfouie au fond du cœur et provoque une crainte permanente d’être trahie à nouveau.

Le besoin de reconnaissance et le passage à l’âge

Le théorème de Marguerite est une histoire en deux parties. D’une part, nous avons la relation entre Marguerite et Werner où Novion nous présente un fil patriarcal où une femme doit naviguer dans un monde d’hommes pour se faire un nom. Marguerite donne d’abord l’impression de porter sur ses frêles épaules le poids du projet, et c’est elle-même qui se rend compte que son travail acharné ne reçoit pas le soutien et la reconnaissance qu’il mérite de la part de son mentor, qui lui reproche d’être trop « émotive » (ce qui, selon lui, ne va pas de pair avec les mathématiques). Cette prise de conscience est difficile pour Marguerite, qui a d’abord vu en Werner son grand protecteur et, peut-être même, le remplaçant de son père absent.

L’autre facette du film, sans doute la plus efficace, est celle du passage à l’âge adulte. Il est beau de voir Marguerite reconstruire sa vie, chercher à se sociabiliser et se lancer dans un nouveau hobby pour gagner de l’argent. Ces événements offre une opportunité d’observation, pour le spectateur, d’un jeune génie qui apprend à gérer difficilement ses sentiments.

Mathématicienne de nature, passionnée, Marguerite a du mal à accepter tout ce qui est illogique ou irrationnel, et cela s’étend naturellement à son incapacité à exprimer ses sentiments et à les gérer. C’est lorsque Lucas apparaît à nouveau sur son chemin que ce problème est exacerbé de manière inattendue.

Il y a un charme fou qui transpire dans le scénario et passe magnifiquement par les performances des protagonistes et, en particulier, Ella Rumpf, déjà découverte dans Grave de Julia Ducournau. Les quelques clichés inéluctables sont ainsi déjoués pour laisser place au mahjong, à une danseuse sublime, aux chiffres et aux symboles (évidemment), à de l’amitié par-ci, à de l’amour par-là… à des flots de tendresse et de poésie, au son joyeux des cuivres (je parle de musique là !), à de divins sourires et, vous l’aurez compris, à des acteurs comme on les aime !

Le Théorème de Marguerite est une romance sur la passion, la découverte de soi et la résilience dans laquelle Anna Novion réussit ce que peu de nos professeurs sont parvenus à réaliser : rendre les mathématiques belles et passionnantes, en démontrant notamment qu’elles peuvent en fait se mélanger avec les émotions.